Retour d’un voyage au Burkina Faso
Début février 2015, un groupe de 12 militants et professionnels de la CSC, la Mutualité Chrétienne, Vie Féminine, la JOC et le MOC de Liège ont participé durant 15 jours à un voyage d’immersion organisé par Solidarité Mondiale au Burkina Faso.
La plupart n’étaient encore jamais allés dans ce pays mais un voyage similaire avec d’autres participants a eu lieu il y a 5 ans dont le but était déjà de rencontrer sur place les partenaires de Solidarité Mondiale, la CSC et la Mutualité Chrétienne de Liège, découvrir leur action et en témoigner par la suite.
Prévu au départ en novembre 2014, ce voyage a bien failli ne jamais avoir lieu. Entre les craintes liées à la propagation du virus Ebola et le soulèvement populaire d’octobre qui a réussi à faire tomber un pouvoir en place depuis 27 ans [1], nous avons finalement reporté le voyage début février 2015. Notre séjour s’est donc déroulé dans « un pays des hommes intègres » au début d’une transition démocratique pleine d’espoirs et d’inconnues qui devrait déboucher sur des élections dans moins d’un an.
Dans ce contexte, voici quelques impressions qui viennent compléter celles d’un premier voyage en 2009.
La CNTB, Confédération Nationale des travailleurs du Burkina
Principal partenaire à nous accueillir, il s’agit d’une des confédérations syndicales les plus importantes du pays, présente depuis les années soixante et forte de dizaines de milliers d’affiliés, elle essaie de rassembler une multitude de syndicats autonomes structurés par entreprises ou corporations.
Plus que jamais, de nombreuses difficultés et enjeux concernent actuellement l’action syndicale de la CNTB :
- Plus encore que lors de notre voyage de 2009, le pays continue de subir des fermetures d’entreprises nationales ou privées ainsi qu’une ouverture à la mondialisation qui ne laisse aucune chance à d’éventuelles productions locales face à ce qui peut arriver moins cher de Chine ou d’ailleurs.
- De plus, l’extrême dépendance du pays vis-à-vis de l’extérieur ne facilite pas le travail syndical : suite à 27 ans de pouvoir particulièrement ouvert aux investissements étrangers, pas une entreprise ou une mine derrière laquelle ne se trouvent des investisseurs français, libanais, canadiens, chinois ou qataris ; des routes, des projets d’approvisionnement en eau potable, des cultures financés par les américains, les japonais ou Taïwan sans parler des myriades d’ONG et de partenariats de Belgique ou d’ailleurs…Face à cette situation, quel sera la position du pouvoir qui devrait prendre place en novembre prochain avec un déficit budgétaire de l’état très important ? Certains délégués d’entreprises nous ont par exemple parlé de la nécessité urgente de modifier l’actuel code du travail entièrement tourné selon eux vers l’intérêt des investisseurs étrangers en dépit de celui des travailleurs.
- Vu les conditions de pauvreté et la place minoritaire du travail salarié « formel » dans le pays [2], il est très difficile pour un syndicat comme la CNTB d’être financièrement autonome via des cotisations. Pour compléter ces dernières le syndicat reste dépendant des appuis extérieurs comme celui de Solidarité Mondiale et la CSC de Liège ou du soutien de l’Etat burkinabè. Dans ces conditions, le syndicat n’a par exemple pas les moyens de fournir des indemnités de grève et reste donc très limité dans ses moyens de pression. Cela explique en partie la priorité que la CNTB donne à la négociation et au dialogue avec les patrons même si cela va parfois à l’encontre d’une vision plus combative de l’action syndicale que nous pouvons avoir en tant que partenaires belges…
- Autre moyen d’action privilégié par la CNTB : la formation, que ce soit au niveau des délégués d’entreprises mais également de centres de formations qualifiantes. Concernant ces derniers, nous avons pu visiter deux centres soutenus par la CSC de Liège , l’un à Dapelogo dans la périphérie de Ouagadougou qui propose des formations d’une année en couture ou construction de même qu’un restaurant entreprise de formation fraîchement inauguré situé dans les bâtiments de la CNTB.
Un enjeu actuel important pour la CNTB est également de trouver sa place dans les changements politiques et sociaux que connait le Burkina Faso suite aux événements d’octobre :
- Même si la CNTB se veut un contre-pouvoir apolitique, elle est consciente du poids plus important qu’elle devrait prendre dans la transformation sociale du pays. Ceci dans un contexte où les principaux déclencheurs du changement, la jeunesse et les plus démunis, semblent se reconnaitre de moins en moins dans le fonctionnement et les valeurs des syndicats qui en sont bien conscients.
- Toutefois la CNTB, observant quotidiennement l’aggravation de la corruption politique et du manque d’emploi, prétend qu’elle interpelle depuis longtemps les dirigeants politiques sur les révoltes que cette situation ne pouvait qu’entraîner en alimentant la montée en puissance du mécontentement populaire en particulier des jeunes.
- D’autre part, le vent de liberté qui souffle actuellement au Burkina doit être une opportunité pour la CNTB de se faire entendre au niveau du gouvernement de transition. Par exemple, en ce qui concerne deux revendications actuelles du syndicat : les militaires, une fois la transition achevée, doivent retourner à la caserne et l’État doit diminuer les taxes qui empêchent le prix du pétrole de suivre l’évolution internationale à la baisse.
Réseau d’Appui aux Mutuelles de Santé
L’autre partenaire à nous accueillir était le RAMS, Réseau d’Appui aux Mutuelles de Santé, principalement soutenu par la Mutualité Chrétienne de Liège et Solidarité Mondiale. Ce réseau encadre et structure en antennes locales de nombreuses mutuelles qui représentent près de 37.000 bénéficiaires.
Nous avons pu relever une nouvelle fois à quel point les mutuelles locales, appuyées et structurées par le RAMS au niveau communal, sont portées par la mobilisation de groupes de militants. Qu’il s’agisse de groupes de femmes ou de cultivateurs de contons avec des représentants par village ou encore de travailleurs d’une même entreprise. Dans ce dernier cas, un exemple intéressant nous a été donné lors de la visite d’une entreprise de transformation industrielle de métaux dont le patron a pris en charge l’affiliation de ses travailleurs à la mutuelle locale, les membres de celle-ci gèrent même l’infirmerie au sein de l’entreprise. Visiblement les différentes formes d’adhésion possibles à ces mutuelles (individuelle, par chef de famille ou par personnes groupées en association) permettent de s’adapter efficacement au contexte culturel, urbain ou rural du Burkina.
Toutefois les difficultés restent nombreuses pour le développement des mutuelles de santé au Burkina Faso :
- Un taux de recouvrement qui reste faible tant le système de cotisation se heurte à des problèmes de pauvreté et de culture : la tendance à considérer que « cotiser c’est appeler la maladie », à ne payer que pour obtenir directement des soins en cas de nécessité sans parler de l’accessibilité parfois très limitée de ceux-ci même en ayant cotisé… face à cette situation le RAMS investit énormément dans la sensibilisation au niveau local que ce soit dans les écoles, sous forme de pièces de théâtre ou encore d’émissions radio. Le RAMS négocie et collabore également avec de nombreuses mairies et centres de santé locaux afin d’essayer d’y améliorer l’offre de soins.
- Vu le manque de moyens, d’autres difficultés très concrètes sont également rencontrées sur le terrain : le manque d’outils informatiques pour réaliser les collectes de cotisations fait que celles-ci sont compliquées et prennent du temps ce qui empêche de les fractionner davantage pour les rendre plus accessibles financièrement. Le manque de moyens pour réaliser des cartes d’adhésion avec photos afin de limiter la fraude est un autre exemple de difficulté…
Cohabitation religieuse et ethnique
Pour finir, on souhaite mettre en avant l’admirable cohabitation religieuse et ethnique que l’on a pu une nouvelle fois apprécier au Burkina Faso surtout vu l’actualité internationale liée au fanatisme religieux et la proximité de ce pays avec le Mali.
Durant nos rencontres nous avons pu observer à quel point chrétiens et musulmans vivent, prient, travaillent ou se marient entre eux sans que cela ne semble poser de problème.
Une des raisons en est peut-être que la religion n’est qu’une composante de l’identité des burkinabés parmi bien d’autres (traditionnelles, ethniques ou géographiques…) et que, malgré toutes les difficultés qu’ils connaissent, les Burkinabès réussissent à maintenir vivantes certaines de leurs valeurs et traditions (notamment via les réseaux de chefs coutumiers) qui paraissent d’efficaces remparts au radicalisme et à la violence.
Espérons que cela puisse durer face à une mondialisation subie, inégale et destructrice de lien social de par la misère et le manque d’emploi qu’elle engendre. Tenant compte également du mécontentement exprimé dans la rue en octobre dernier d’une partie de plus en plus pauvre et jeune de la population pour qui les élections prévues fin 2015 devront répondre à beaucoup d’attentes et d’espoir de changement…
[1] « L’histoire du Burkina Faso a connu une brusque accélération depuis l’automne 2014. Le 31 octobre de cette année fatidique, après 27 ans de règne, Blaise Compaoré tombait comme une poire trop mûre face à une insurrection populaire qui n’aura duré que 3 jours, provoquant néanmoins la mort de 24 manifestants. L’ancien président burkinabé n’aura donc pas réussi à modifier l’article 37 de la Constitution du Faso, afin de briguer un énième mandat aux prochaines élections présidentielles : la rue lui aura barré le chemin… » extrait de « Défi électoral au Burkina,
L’UE face aux énigmes d’une transition » analyse du GRIP (GROUPE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SUR LA PAIX ET LA SÉCURITÉ). A lire également « Burkina Faso,
une révolution portée par la jeunesse »
[2] « L’économie informelle procure du travail à près de 80% de la population active et représente 27% du PIB. Derrière l’agriculture et l’élevage, c’est le 3ème secteur le plus puissant de l’économie nationale. Dans certaines villes du pays, à Bobo Dioulasso par exemple, il contribue à 50% du produit local brut » « Vision syndicale » n°3, mars 2007, « Burkina Faso : l’informel au coeur d’une nouvelle solidarité ». Périodique de la CSI (Confédération Syndicale Internationale)} disponible ICI.
En plus de ne permettre aucune protection sociale, le travail informel s’effectue en marge de toute législation du travail tant au niveau des conditions de sécurité, du temps de travail que de la rémunération qui n’atteint bien souvent qu’à peine l’équivalent de 30€ par mois/1€ par jour.