Retour sur un voyage d’immersion Solidarité Mondiale en République Dominicaine du 8 au 23 novembre 2018
Le 8 novembre dernier, un groupe de 12 personnes provenant d’organisations MOC sur Liège mais également de nos partenaires au Burkina Faso (CNTB, RAMS, MUFEDE) s’est rendu en République Dominicaine dans le cadre d’un voyage d’immersion organisé par Solidarité Mondiale à la rencontre des organisations sociales partenaires de l’ONG sur place.
Au programme, quatorze jours de visites de terrain et de témoignages liés au travail d’AMUSSOL, CASC, CONAMUCA, FEI, MOSCTHA et TURISSOL[1]. De nombreuses rencontres effectuées d’est en ouest et du nord au sud du pays à la découverte de ces mouvements sociaux qui agissent dans le but d’améliorer l’accès à la protection sociale et aux soins de santé, le dialogue social et les droits des travailleurs, le développement d’un tourisme durable, les droits des femmes ou encore permettre aux communautés rurales de développer des activités complémentaires de revenus.
Plutôt de que d’énumérer tout ce que nous avons découvert durant ce séjour, deux aspects du travail des partenaires de Solidarité Mondiale dans ce pays rendent particulièrement bien compte dans leur contraste de l’impression générale laissée par ce voyage.
Situation des migrants haïtiens dans les Batey
Une partie de notre voyage aurait dû se dérouler à Haïti mais une situation très tendue liée à des manifestations contre le président en place et son gouvernement nous a contraint à annuler pour des raisons de sécurité.
Formant une même île, Haïti et la République Dominicaine ont pourtant des situations et une histoire très différentes sur certains points (en termes géographiques et environnementaux, de passé coloniale, de langue et de culture…). Ces différences ont entraîné au final de grands écarts socio-économiques, nettement en défaveur d’Haïti, qui font que les situations de ces deux pays restent fortement liées avec notamment près de 700.000 migrants haïtiens présents en République Dominicaine, venus dans l’espoir de trouver du travail. Nos rencontres, parmi les plus marquantes de notre voyage, avec les habitants des « Batey » Manolo et LaLouisia dans la province de Monte Plata et le Batey n°6 de Barahona, nous ont permis de nous rendre compte de cette réalité.
Les «Batey » sont à la base des campements mis en place par l’état dominicain dans les zones agricoles pour abriter les travailleurs des champs de cannes à sucre pour la plupart d’origines haïtiennes. L’exploitation de la canne à sucre a été une des principales ressources du pays pendant de nombreuses années mais la conjecture mondiale l’ayant rendue beaucoup moins rentable, cette culture a commencé à être privatisée à partir des années 90 puis laissée progressivement à l’abandon. Tout comme les habitants de ces Batey, qui y sont restés malgré tout faute de travail et de moyens de se déplacer, moins mobiles que les investisseurs.
Présents depuis des dizaines d’années ou même nés dans ces Batey, ils restent pourtant officiellement haïtiens avec très peu de perspectives d’obtenir des papiers dominicains et sans plus d’attaches avec Haïti. Ils sont ainsi plusieurs centaines de milliers à vivre dans des conditions très précaires (en termes d’accès à l’eau potable, aux sanitaires, aux soins médicaux…) sans véritable statut, sans protection sociale, oubliés… en témoigne un homme de plus de 80 ans habitant depuis qu’il est jeune le Batey Manolo : « un pays qui vous accueil devrait pouvoir vous offrir un avenir mais moi j’ai juste coupé de la canne, coupé de la canne, coupé de la canne… ». Des campagnes de régularisation ont tout de même été mises en place récemment par l’Etat Dominicain, mais comme nous l’a expliqué un autre habitant du Batey Manolo, pour espérer être régularisé, et encore…provisoirement, ils doivent retourner en Haïti pour se procurer leurs actes de naissance, voyage qui coûte plus de 100$ alors qu’ils vivent avec à peine 1$ par jour…
Face à cette situation, le MOSCHTA (Mouvement Socio-Culturel pour les Travailleurs Haïtiens), association partenaire de Solidarité Mondiale en République Dominicaine, soutient les habitants de ces Batey sous forme d’aide juridique pour l’obtention de papiers, d’accès à l’eau potable, de cliniques ambulantes, d’installation de latrines ou encore de services funéraires… la reconnaissance des droits des migrants haïtiens fait également partie des revendications politiques les plus importantes portées ensemble par les 5 associations partenaires de Solidarité Mondiale en République Dominicaine dont fait partie le MOSCHTA[2].
Tourisme de masse, un aspect important de la République Dominicaine
Cocotiers et plages de sable fin sont souvent les premières images qu’évoquent la République Dominicaine. De fait, depuis déjà pas mal d’années, le pays a fortement misé sur le tourisme de masse à tel point que ce secteur représente à l’heure actuelle presqu’un quart de son PIB et qu’il serait devenu, proportionnellement à sa taille, le pays qui génère le plus de bénéfices touristiques dans toute l’Amérique latine. Ainsi, les chiffres de croissance et de richesse du pays sont poussés à la hausse artificiellement car étant très mal répartis. Comme nous l’a dit un enseignant militant de la CASC de Santiago « De l’argent il y en a en République Dominicaine mais c’est de plus d’égalité dont le pays a besoin ».
Ce développement du tourisme de masse et des emplois qui vont avec, concerne principalement une petite partie du pays située sur la pointe occidentale de l’île, là où se trouve « Punta Cana », célèbre destination touristique emblématique de cette situation à tel point qu’elle possède son propre aéroport. Les principaux investisseurs propriétaires, actionnaires et exploitants des hôtels et des plages (pour la plupart privatisées) semblent être principalement des Italiens et des Espagnols (NH Group Hôtel…). Il faut dire que le pays ne manque pas d’attraits : avantages fiscaux, salaires mensuels autour de 250$, personnel souriant… L’offre touristique est donc très importante, c’est le moins que l’on puisse dire, avec de véritable villages hôteliers proposant des formules « All inclusive » et des milliers de chambres avec en coulisses de véritables armées au service du touriste : certains des plus gros complexes hôteliers comptent jusqu’à 3000 travailleurs ! L’équivalent d’importants hôpitaux en Belgique… Nous avons pu rencontrer des délégations syndicales de ces travailleurs du secteur touristique (hôtellerie, transports, boutiques d’artisanat, responsables des commerces de plages…) afin qu’ils puissent nous expliquer comment les travailleurs s’organisent pour essayer d’obtenir de meilleures conditions de travail.
On s’en doute, les abords de ces villages hôteliers où vivent ces travailleurs font moins rêver les touristes. À 5 minutes à peine de ceux-ci, ce sont les mêmes quartiers populaires qu’on retrouve également dans l’arrière-pays : rues sales et bruyantes à peine goudronnées, sans trottoirs, bordées d’échoppes et d’habitations bricolées au travers desquels les fils électriques et la circulation anarchique essaient de se frayer un chemin…Pays de contrastes, comme nous le montre les brochures touristiques, et pas que paysagés…
Un autre aspect lié au tourisme est que les Dominicains, faute de temps mais surtout de moyens, le pratique très peu au sein même de leur propre pays. Partant de ce constat, TURISSOL, une organisation partenaire de Solidarité Mondiale sur place, essaie de développer une offre touristique durable et accessible aux familles dominicaines. A l’ombre des grands « tours opérateurs », TURISSOL vise et défend un tourisme à taille humaine pouvant bénéficier plus largement aux communautés locales du pays qui possède bien d’autres richesses naturelles et culturelles que la seule zone de Punta Cana.
[1] https://solidaritemondiale.be/Nos-partenaires-en-Republique.html
[2] https://solidaritemondiale.be/Rendre-leur-dignite-aux-travailleurs-migrants-en-Republique-Dominicaine.html