Retour de Bolivie… impressions d’un voyage organisé par Solidarité Mondiale
Élu président en 2005 puis réélu confortablement (64%) pour un deuxième mandat en 2009, l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales et, aux élections législatives, de son parti le MAS (Mouvement vers le socialisme) a marqué un tournant dans l’histoire de la Bolivie. Premier président d’origine indienne (60% de la population) et paysanne, il incarne un changement socialiste qui succède à l’alternance de périodes de conflits, de dictatures et plus récemment d’application de recettes néo libérales basées notamment sur la privatisation et les investissements étrangers.
L’arrivée au pouvoir d’Evo Morales qui a suscité l’enthousiasme d’une bonne partie de la population jusque-là marginalisée, s’est concrétisée par un vaste chantier participatif de modification de la constitution ainsi que des mesures ambitieuses et inédites : des avancées en termes de protection sociale, autonomie de communautés indigènes et territoriales, nationalisation partielle de l’exploitation du gaz et du pétrole… En outre, durant cette période, les finances de l’État ont bénéficié de l’augmentation du prix des matières premières. Toutefois, au bout de 6 ans de mandat, nous avons pu nous rendre compte à travers de nombreuses rencontres que les déceptions et critiques envers le pouvoir en place ne manquent pas à l’heure actuelle en Bolivie. Qu’il s’agisse de reprocher au final la lenteur et la « tiédeur » des réformes socio-économiques dont les effets concrets tardent à se faire sentir, certaines dérives autoritaires du pouvoir en place ou encore le changement d’attitude du gouvernement face aux mouvements sociaux.
Mouvements sociaux
Ce dernier point est particulièrement sensible actuellement depuis l’épisode du « TIPNIS » [2] qui a vu, le 27 septembre 2011 à Yucumo, les forces de police gouvernementales réprimer violemment une marche indigène contre le projet de construction d’une route qui devait traverser leur territoire. Un paradoxe pour un gouvernement présenté comme celui des « mouvements sociaux » ; et pour un président qui n’hésite pas à jouer la carte de son origine ethnique, et qui est arrivé au pouvoir en partie grâce au soutien des ONG. sans qu’une rue soit bloquée par des pneus en feu, des pierres ou une marche de protestation.
Moyens supplémentaires pour l’université de El Alto [4] et gratuité du BAC, augmentation des pensions du secteur de la santé, prolongation de mesures de régularisation de véhicules arrivants aux frontières destinés à la vente, augmentation du prix de l’essence…les motifs sont aussi nombreux et variés que les moyens utilisés pour se faire entendre.
« C’est que la politique est omniprésente en Bolivie et de manière beaucoup plus directe que chez nous. »
Au-delà de participer aux élections, des tas de mobilisations se mettent en place au nom des étudiants, femmes, paysans, « grémiales » (vendeur de rue de l’informel), habitants des quartiers pauvres… le tout organisé en un dédale de fédérations, confédérations, coopératives et sections locales qui chacune présentera ses recommandations aux gouvernement, fera jouer ses représentants au sein du parlement, revendiquera une place dans la constitution puis sa concrétisation en lois et finalement l’application réelle, parfois fort lointaine, de celles-ci. En effet, si la politique en Bolivie apparaît très vivante, on a en même temps l’impression qu’elle dépasse rarement la sphère idéologique ou symbolique et que lorsque c’est le cas (nationalisation du pétrole par exemple), elle peut s’avérer plus riche en compromis qu’annoncer au départ. notamment lors d’une rencontre avec les représentants d’une confédération de la jeunesse proches du MAS. En effet, ceux-ci nous ont exprimé leur désaccord avec certaines des organisations partenaires de Solidarité Mondiale en Bolivie. Jusqu’à avoir voulu leur faire fermer boutique, ils leur reprochent de ne pas être des ONG « natural », c’est-à-dire d’être dépendantes d’ONG internationales, pas assez gérées par la base (dans ce cas-ci le public jeune issu des quartiers pauvres) voir pas assez indigène et surtout n’ayant pas une vision du changement suffisamment politique pour être efficace.
Ce genre de critiques liées au contexte politique bolivien a en tout cas le mérite de nous poser la question, souvent trop vite contournée, de l’influence des forces politiques et idéologiques nationales sur l’action des partenaires soutenus par les ONG et le type de développement promu par celles-ci. De même, la question de la manière dont on se positionne vis-à-vis de revendications identitaires ou « nationalistes » que nous sommes habitués à rejeter quand elles concernent le replis d’une communauté privilégiée sur ses acquis. Ce qui n’est pas le cas en Bolivie puisqu’il s’agit d’avantage de de la reconnaissance et de l’accès au pouvoir politique de communautés économiquement faibles qui pendant longtemps n’ont pas eu droit au chapitre dans leur pays et l’ont encore moins dans la mondialisation. Si cette recherche d’identité est au cœur du processus de changement bolivien, comme l’atteste la nouvelle constitution qui reconnaît le caractère multiethnique de la nation bolivienne, elle demeure visiblement un point de tension important dans le pays. Le fait que les ¾ des travailleurs se situent dans le secteur informel (économie parallèle) est une autre réalité importante en Bolivie, partagée par de nombreux pays pauvres. L’activité informelle s’y développe sur le peu d’appareil productif générateur d’emplois et sur fond d’exode rural croissant vers les grandes villes.
Une forme de pension a été mise en place pour ces travailleurs qui n’ont jamais cotisé, certains soins de santé de base sont en principe accessibles et certains droits sont reconnus aux travailleurs. Malgré tout, on renonce facilement à ces droits par crainte de perdre son revenu ou de formalités qui risquent d’être longues et le secteur pour l’instant reste exclu du système embryonnaire de sécurité sociale. Malgré cela, nous avons pu nous rendre compte à quel point ces travailleurs restent collectivement bien organisés pour défendre leurs intérêts alors qu’ils restent marginalisés, malgré leur importance considérable, dans le paysage syndical institutionnel du pays. Celui-ci restant dominé par quelques grands secteurs formels, notamment minier.
Bien que le rapport à l’État soit par définition assez réduit, celui-ci tente par exemple à La Paz d’améliorer la situation des marchés quasi autogérés, que nous avons pu visiter, en terme d’hygiène, d’infrastructures ou encore d’installation électrique. Toutefois, cette a priori louable intervention des pouvoirs publics locaux dans l’informel ne va pas sans se heurter à des oppositions, dont la moindre n’est pas le fait de devoir payer une taxe, liées notamment à la crainte pour certains commerçants de voir mis à mal tout un système acquis de privilèges et hiérarchies bien établis. avoir plusieurs boulots dans l’informel peut être considéré comme plus sûr que n’avoir qu’un seul emploi salarié que l’on peut risquer de perdre, de même informel ne rime pas nécessairement avec pauvreté : de grosses différences de revenus existent en fonction du fait d’être propriétaire de son commerce, en fonction de son secteur d’activités, de sa position sociale.