De retour du Burkina Faso
Cela fait maintenant plus d’un mois que notre groupe de 11 professionnels et militants des organisations du MOC Liège-Huy-Waremme, pour la plupart membres de la commission Solidarité Mondiale de Liège, sont rentrés de leur voyage d’immersion organisé par l’ONG à la rencontre des partenaires de celle-ci et de leur action.
Une fois la fédération MOC de Liège « sélectionnée » pour ce voyage, c’est dans un but de cohérence que le choix de destination s’est naturellement fixé sur le Burkina Faso. En effet, depuis plusieurs années, la Mutualité chrétienne et la CSC de Liège développent de solides partenariats dans ce « petit » pays d’Afrique de l’Ouest. C’est donc en étroite collaboration avec ces partenaires mutualistes et syndicalistes burkinabés que le contenu du séjour a été élaboré. Ce qui a débouché sur un programme extrêmement riche et varié emmenant du 21 novembre au 5 décembre 2009 le groupe aux quatre coins du pays. La CNTB (Confédération Nationale des Travailleurs du Burkina) est l’un des 6 principaux syndicats du pays, elle existe depuis les années 60 et elle compte plus ou mois 15.000 affiliés. Grâce à des contacts quotidiens avec ses responsables, militants locaux et délégués ainsi que plusieurs visites de sections locales et d’entreprises, nous avons pu approcher les grands enjeux et difficultés auxquels le syndicat est confronté : C’est l’univers de la débrouille et de la survie dans lequel chacun essaie de gagner un peu d’argent comme il peut, la plupart du temps là où on a le plus de chance d’y arriver : dans la rue. C’est une des choses les plus frappantes lorsque l’on débarque dans la capitale, Ouagadougou, on a l’impression qu’il y plus de petites échoppes que d’habitants (« maquis » où boire et manger, vente de produits très divers, salons de coiffure, bouteilles de « carburant » de fortune pour les mobylettes…) que chaque personne dans la rue a quelque chose à vendre (cartes téléphoniques, fruits, ceintures, prostitution…), chaque immeuble a son gardien tout comme chaque voiture qui se gare sans oublier les porteurs de marchandises, collecteurs de déchets et autres « gens de maison »…
Loin d’être marginal, ce travail informel constitue l’un des aspects majeurs de la vie économique et sociale du Burkina. En effet, l’informel occuperait 80% de la population active et représente 27% du PIB (le reste se partageant entre exportations et aides extérieures) derrière l’agriculture et l’élevage, c’est le troisième secteur le plus puissant de l’économie nationale [1]]. En plus de ne permettre aucune protection sociale, le travail informel s’effectue en marge de toute législation du travail tant au niveau des conditions de sécurité, du temps de travail que de la rémunération qui n’atteint bien souvent pas le SMIC (plus ou moins 22.000 francs CFA, soit 33€ par mois !). Malgré tout, face à cette situation les syndicats, qui comprennent des représentants de l’informel, poussent les travailleurs de ce secteur à s’organiser en corps de métiers ou en groupements professionnels notamment afin de faire valoir leur intérêt au près des pouvoirs publics : de la revendication à une protection sociale au niveau national en passant par des choses très concrètes comme faire pression pour obtenir des reçus de paiements de diverses taxes et redevances réclamées par les autorités locales (emplacement, éclairages…) afin d’éviter des abus de celles-ci.
Le travail informel en tant que manière de survivre pour les exclus du marché et de la mondialisation témoigne sans doute également, au-delà du seul point de vue économique, d’un mode de fonctionnement plus profond de la société africaine , basé sur les réseaux traditionnels et familiaux qui échappent à nos conceptions occidentales de citoyenneté, d’Etat et de la place du travail dans la société. Toutefois en fonctionnant visiblement par fragmentation du travail existant et donc, par division des revenus, il est probable qu’en même temps l’informel dissolve ces réseaux de solidarité traditionnelle et, en l’absence totale de droits du travail, constitue en fait une multitude de réseaux d’exploitation invisible [2]]. Le problème est de savoir pourquoi le développement de ce secteur informel a pris une telle ampleur. L’autre grande difficulté à laquelle sont confrontés nos partenaires syndicalistes, que nous allons maintenant développer, apporte sans doute un élément de réponse. Après les nombreuses manifestations contre « la vie chère » qui ont eu lieu dans le pays en 2008, dévaluation monétaire et forte hausse du prix des denrées de première nécessité font toujours sentir leurs effets. De plus, dans les entreprises que nous avons visitées, on nous a dit avoir durement ressenti la dernière crise financière mondiale. Comme dans la tannerie Tan-Aliz de Ouagadougou où 90 travailleurs viennent de se retrouver en chômage technique suite à la baisse de demande des clients européens fabricants de sacs et d’autres articles de maroquinerie.
Comme nous l’a expliqué un responsable local de la CNTB dans la région de Bobodioulasso (2ème ville du pays et anciennement capitale industrielle) où l’industrie est particulièrement en déclin (voir en encadré ci-dessous l’interview d’une militante syndicale sur la délocalisation de l’entreprise Savana) , le Burkina s’est ouvert beaucoup trop vite à la concurrence mondiale poussé par le pouvoir en place suivant la doctrine libérale encouragée par les grands bailleurs de fonds internationaux tels que le FMI et la Banque Mondiale et leurs fameux « Plans d’Ajustements Structurels ». L’économie burkinabé n’était pas prête et l’accompagnement de l’Etat s’est avéré largement insuffisant. Le pays n’a pu faire face à la concurrence de voisins plus importants comme la Côte d’Ivoire ou par exemple, comme on nous l’a expliqué, face à l’arrivée de mobylettes chinoises bon marché qui a précipité la fermeture d’entreprises d’assemblage locales. Au cours d’une visite d’une entreprise de production de sucre à partir de cannes, premier employeur après l’Etat dans la région de Banfora, les délégués nous ont appris que l’usine venait d’être reprise par un investisseur du Qatar entraînant énormément de difficultés syndicales y compris même le droit de se réunir…de nombreux exemples nous ont été ainsi donnés de secteurs entiers de l’économie nationale libéralisés et appartenant désormais à des capitaux étrangers : production de coton, téléphonie, chemin de fer…
Par rapport à cette situation les syndicats sont face à d’énormes difficultés pour mobiliser et organiser les travailleurs dans la défense de leurs intérêts. Manque de formation et de connaissance de leurs droits (rappelons que le taux d’alphabétisation ne dépasserait pas un quart de la population du pays), mais surtout grosse difficulté à récolter des cotisations, vu le poids du secteur informel notamment, et donc à dégager les moyens nécessaires par exemple au soutien d’une grève. Parfois cette difficulté à s’affilier est doublée d’une crainte d’être mal vu par son patron mais aussi par le pouvoir politique local comme nous l’ont raconté avec humour des responsables syndicaux locaux que certains de leurs militants faisaient semblant de ne pas reconnaître sur la place les jours de marché… Durant nos nombreuses rencontres avec des syndicalistes nous avons entendu plusieurs témoignages concernant des atteintes aux libertés syndicales : impossibilité de se réunir comme cité plus haut, syndicalistes menacés et même « coursés par des 4X4 » !, journaliste de la capitale muté « en brousse » dans une lointaine province, ministre démis de ses fonctions pour avoir pris le parti de travailleurs licenciés, peur d’être « fiché » ou encore impossibilité de faire grève sous peine d’avoir affaire à la police pour les travailleurs d’un secteur sensible comme ceux qui travaillent à l’aéroport de Ouagadougou (le Burkina est un pays « enclavé »)…
À côté de cela, lors d’une rencontre, avec le Ministre du travail, organisée par nos partenaires, nous avons pu percevoir une certaine volonté du pouvoir public de collaborer avec les syndicats et les mouvements mutuellistes en vue de l’élaboration d’un système d’assurance maladie et du respect des conditions de travail (envoi d’inspecteurs du travail, encore trop peu nombreux , sur le terrain) ou de la construction d’un dialogue social (rencontres annuelles entre syndicats, employeurs et gouvernement, représentation des syndicats dans des tribunaux du travail…). Citons aussi l’organisation d’un colloque international sur le travail décent organisé par le BIT à Ouagadougou le 2 décembre et auquel deux d’entre nous ont eu la chance de participer. Le Réseau d’Appui aux Mutuelles de Santé (RAMS) a pour but de soutenir la création et le développement de celles-ci pour organiser et faciliter l’accessibilité financière de la population aux soins de santé. Le RAMS appuie une soixantaine de Mutuelles au Burkina qui permettent de couvrir des dizaines de milliers d’affiliés. La création de ces mutuelles et leur implantation locale se fait à partir de réseaux associatifs (groupement de corps de métiers, syndicats, groupements de femmes…). Des frais d’adhésion par famille sont demandés en plus d’une cotisation annuelle par personne ce qui permet de couvrir la plupart du temps jusqu’à 80% des frais principalement de prescription de médicaments génériques et de consultation dans divers centres de santé. Rappelons quelques éléments qui nous ont été donnés sur la santé au Burkina : grosse partie de la population qui n’a pas accès à l’eau potable surtout en milieu rural, manque énorme de personnel médical (1 médecin pour 10.000 habitants selon l’OMS), 4% de la population atteinte par le SIDA et une espérances de vie dépassant à peine les 50 ans. Situation dont nous avons pu très partiellement prendre la mesure en visitant un hôpital de Ouagadougou dont la maternité compte…une vingtaine de lits. Les principales causes de consultations aux urgences sont celles qui réclament le plus de soins dans l’ensemble de la population : paludisme (malaria), infections respiratoires et dysenteries.
De plus, par définition les travailleurs de l’informel (la majeure partie) ne bénéficient d’aucune protection sociale. Quant à celle dont bénéficie actuellement la minorité du secteur formel, fonctionnaires en particulier, elle ne couvre pas les risques de santé autres que professionnels.
Les vendeurs de rue de médicaments constituent également un aspect du problème. Ces médicaments vendus dans la rue beaucoup moins chers que dans le commerce et donc beaucoup plus accessibles, présentent de grands risques d’être périmés, inadéquats voir pire. A ce propos, lors d’un festival de films d’animation à Ouagadougou nous avons eu l’occasion de voir un documentaire de prévention sur ce genre de pratique dans lequel un vendeur de médicaments expliquait que ne sachant pas lire il lui suffisait de se fier au dessin sur la boîte de médicaments pour savoir lequel proposer à ses clients : une boîte de « femme qui se tient le ventre » pour les maux de ventre ou encore une pilule de « vieille femme qui court » pour la fatigue…
Des mutuelles organisées par des femmes en milieu rural
De nombreuses Mutuelles sont l’initiative de groupements de femmes défavorisées en milieu rural. C’est le cas de celles que nous avons visitées à Tanghin Dassouri, Kongoussi et Tenkodogo. Leur grande solidarité et leur dynamisme associatif et économique nous ont impressionnés au regard des difficultés très concrètes auxquelles les femmes qui font vivre ces mutuelles sont confrontées : besoin d’un coffre, sans lequel la trésorerie peut être risquée, avoir un semblant d’enseigne ou encore du matériel de gestion administrative. De plus l’éloignement parfois très important des centres de santé oblige bien souvent ces femmes à faire des dizaines de kilomètres à pieds en l’absence de moyens pour acheter une mobylette ou même un vélo. Ce problème de déplacement touche également la collecte des cotisations dans les différents villages et oblige bien souvent ces femmes à dormir là où elles se réunissent…quand elles ont la chance de disposer d’un local. Notons enfin que dans ces régions rurales où la capacité contributive est très faible et dépendante des récoltes agricoles, la mise en place de mutuelles se fait souvent en combinaison avec des activités génératrices de revenus. Ce qui nous amène à un dernier aspect de l’action des partenaires rencontrés au Burkina Faso, l’octroi de microcrédits qui permet aux bénéficiaires d’essayer de développer des activités génératrices de revenus. Ces activités se situent principalement dans le petit commerce de fruits et légumes ou d’eau potable par exemple, dans la transformation et le stockage de denrées alimentaires, dans la culture maraîchère comme dans les villages de Bam et Darigma ou encore dans la collecte et le recyclage de déchets comme expliqué lors d’une visite de la mutuelle de Tenkodogo.
L’association de femmes « Watinooma » de Kaya est également un bon exemple. A la fois mutuelle et guichet de microcrédit, c’est aussi un lieu où se donnent des cours d’alphabétisation et où, notamment, sont pris en charge les orphelins de membres décédés. Un lieu qui présente aussi un espace et du matériel permettant à plus de 300 femmes de développer des activités génératrices de revenus : élevage d’embouche, préparation du soumbala, exploitation de champs collectifs… Ce genre de voyage permet évidemment de découvrir une réalité autre que la nôtre, en termes de pauvreté et d’inégalités énormes malheureusement mais aussi de richesses culturelles et sociales. Toutefois, au-delà de ces différences et du caractère forcément « déséquilibré » de nos rencontres, ce voyage nous a également permis d’apprécier les nombreux points communs entre nos revendications de mouvements sociaux ici et là-bas. C’est de cet aspect des échanges entre les organisations du MOC et leurs partenaires du Sud, ainsi que de l’intérêt de les soutenir que nous souhaitons particulièrement témoigner au terme de ce voyage.