Dominique Linotte : « Il y a une institutionnalisation de la précarité
Dominique Linotte, permanent interprofessionnel de la CSC Liège-Huy-Waremme, était l’intervenant d’un débat sur le thème : « Travail précaire : sommes-nous tous concernés ? » Une soirée organisée le 29 janvier 2009 dans le cadre du projet du groupe d’action locale du MOC de Waremme sur la question de la précarité et son évolution au sein de notre société. Voici un résumé de son intervention.
Dans le cadre de son travail, Dominique Linotte reçoit régulièrement des travailleurs en situation difficile. « Notre premier boulot est de garder ces personnes qui sont en situation de précarité dans le système et éviter surtout qu’elles ne basculent un cran plus loin, c’est-à-dire dans la pauvreté et l’exclusion », rappelle-t-il.
Pour Dominique Linotte trois facteurs principaux (parmi d’autres) sont aujourd’hui générateurs de précarité. Leur point commun est que ces éléments sont institutionnalisés, c’est-à-dire la conséquence de décisions politiques. « Le premier facteur concerne tout ce qui tourne autour des contrats de travail précaires : intérim, contrat temporaire, temps partiel. Des contrats qui se caractérisent par deux éléments fondamentaux : une instabilité au niveau du revenu et/ou des revenus généralement très faibles » explique-t-il. Dans cette évolution du marché du travail, la généralisation du temps partiel dans certains secteurs est particulièrement inquiétante car elle est devenue la norme. « Il y a une banalisation du temps partiel. Dans certains secteurs, il devient de plus en plus difficile, voir impossible d’obtenir un temps plein, analyse le permanent de la CSC. Or qui dit temps partiel, dit aussi revenu partiel. Déjà qu’il s’agit à la base de salaires qui ne sont pas mirobolants, je pense ici aux secteurs de l’aide aux personne, aux titres services, à la grande distribution, ces travailleurs doivent apprendre à se débrouiller avec des salaires vraiment très bas. Quand il y a deux revenus dans le ménage, on peut encore s’en sortir. Quand il s’agit de personnes seules avec enfants, cela devient extrêmement difficile. Au moindre événement imprévu, il n’y a plus aucune marge de sécurité pour pouvoir compenser cet accident de vie, même s’il est mineur comme par exemple une maladie qui se prolonge.
Une situation qui n’est ni le fruit du hasard, ni une fatalité insiste Dominique Linotte : « Aujourd’hui on nous présente la flexibilité comme un objectif économique et un objectif de société. On nous dit que c’est comme cela qu’il faut faire pour que l’économie se relève et que les entreprises aillent mieux. Un discours qui n’est plus le seul fait du monde patronal et des libéraux. » Un autre facteur de précarité mis en avant par Dominique Linotte est la politique de l’ONEM dans le cadre du plan d’accompagnement des chômeurs.
« Avec cette politique que constate-t-on sur le terrain ? Ce sont essentiellement ceux qui ont déjà des gros problèmes qui sont exclus du chômage. C’est celui qui a des problèmes de santé, qui vient de vivre une séparation ou qui est sous la menace d’une expulsion, bref celui qui est déjà au bord du gouffre et à qui on va donner le dernier coup d’épaule pour être certain de le faire tomber définitivement hors du système. Or, on sait très bien que cette mesure ne règle rien et ne fait que reporter le problème puisque ces personnes vont se retrouver au CPAS. Un autre aspect au niveau de l’ONEM et qui est un peu moins connu, concerne le traitement des litiges, poursuit le syndicaliste. Lorsque vous recevez votre C4 et qu’il est indiqué, par exemple, » manque de motivation », les problèmes commencent. En général, on limite la casse pour le travailleur, mais dans certains cas, il y a sanction. Le plus souvent, il y a de toute façon une suspension du paiement, le temps que le litige soit réglé, soit parfois 2 ou 3 mois sans aucun revenu ! Ces personnes, de nouveau, tombent encore plus bas et passent de la précarité à la pauvreté. De manière générale, il y a aujourd’hui une pression terrible exercée à l’encontre des demandeurs d’emploi qui finissent par accepter n’importe quoi, avec n’importe quel salaire et qui en travaillant ne se retrouvent pas dans une situation meilleure qu’avec le chômage. De nouveau, il ne s’agit pas d’une fatalité mais d’une politique volontaire des pouvoirs publics. Raison pour laquelle je parle d’institutionnalisation de la précarité ». Le troisième aspect mis en avant par le permanent de la CSC est le problème de la formation. Même s’il y a des exceptions, les personnes en situation de précarité sont celles qui ont le moins de qualifications. « Je n’incrimine pas l’enseignement et encore moins les enseignants. Mais il y a beaucoup trop de gens, de jeunes qui sortent sans aucune formation et aujourd’hui celui qui n’a pas de formation n’a pas de travail, constate D. Linotte. Je ne pense pas, contrairement à ce que l’on dit parfois, qu’actuellement plus de jeunes sortent de l’école sans instruction. En moyenne, le niveau de formation est plus élevé que par le passé. Mais il y a encore quelques années celui qui n’avait pas de formation pouvait encore travailler comme manœuvre quelque part, à la commune, aux chemins de fer… Ces gens avaient un vrai statut, ils travaillaient et avaient un revenu. Maintenant, c’est terminé. Les exigences sur le marché du travail sont beaucoup plus importantes aujourd’hui. Je pense qu’il y a un effort considérable à faire pour empêcher que les jeunes sortent sans formation de l’école. Si ce n’est pas le cas on maintiendra cette tranche de travailleurs dans une zone de précarité et de petits boulots. Contrairement aux deux points précédents, il y a ici une prise de conscience au niveau politique sur la nécessité de formation de nos jeunes. Mais au-delà du discours, les moyens ne suivent pas. Aujourd’hui, il n’y a pas de réelle volonté politique pour changer ce système.