Conséquences des inondations sur l’accès au logement : le parcours des sinistrés en transit

Juillet 2021, plus de 200 communes sont touchées par la catastrophe des inondations.  Le C.I.E.P. Liège et le C.I.E.P. Verviers se mobilisent pour voir comment et où se rendre utiles sur le terrain. Entre autres choses, nous poussons la porte des centres d’hébergement de la Croix-Rouge pour personnes sinistrées de Liège et de Verviers.

Une première visite permet de sentir que les personnes accueillies sont plutôt déconnectées de toute la dynamique solidaire qui existe à l’extérieur.  Nous proposons alors d’organiser à Liège et à Verviers un moment de rencontre collective un soir par semaine pour se poser un moment, partager les infos, échanger, …  Ces rencontres visent à permettre le développement de la résilience collective. Si à Liège, des services  extérieurs viennent au sein du centre pour aider dans la recherche d’un logement, à Verviers ce n’est pas le cas, et bien que  les travailleurs de la Croix-Rouge aident de temps en temps, les rencontres collectives s’organiseront autour d’un soutien dans la recherche de logement.

Le choc et les difficultés vécues par les personnes victimes de la catastrophe des inondations sont les mêmes partout, mais à Verviers, le pouvoir communal était affaibli par une crise politique préexistante aux inondations et il nous semble que les pouvoirs communaux ont été différemment à la hauteur de la situation pour soutenir et accompagner leurs citoyens sinistrés.

La vie dans les centres :

Dans ces centres, on croise tous les profils : familles, personnes seules, travailleurs, précaires, assurés, non assurés, propriétaires, locataires, des adultes, des enfants, des adolescents. Certains arrivent encore en octobre, novembre, décembre.  Avant, ils ont dû trouver à se loger en plusieurs endroits : chez des amis, à l’hôtel qu’ils ont dû quitter pour laisser la place aux réservations de Spa Francorchamps, puis Banneux par exemple, et enfin Liège. Certains ayant un réseau social ou familial restreint, ou ayant trop de mal à admettre avoir besoin d’aide, ont vécu dans leur voiture ou dans la rue, assommés par la catastrophe et finalement orientés vers le centre par des personnes vigilantes.

 Lors de leur arrivée dans le centre, il faut un temps pour lever un malentendu : le centre n’est pas une solution durable, mais un endroit sécurisé avant de trouver un autre logement … de transit !  La Croix-Rouge offre un lieu « pour atterrir » mais l’idée est que les personnes accueillies ne s’y attardent pas trop longtemps.  Alors, quand on arrive au centre après plusieurs étapes, parfois avec enfants et barda, et qu’on pense pouvoir s’y poser le temps de se remettre, de faire face, de retaper son propre logement pour pouvoir y retourner, cette explication met naturellement du temps à être entendue et acceptée.  Et il faut aussi un temps pour arriver à se poser, lâcher prise, retrouver un rythme de sommeil, se remettre un peu.

 Le vécu, les deuils :  

 Au fil des rencontres, on se raconte, on s’écoute, on fait le point pour voir comment reprendre le fil de sa vie, affronter la suite ensemble.  La plupart des membres apprécient cette vie collective qui « permet de se serrer les coudes entre nous ».  Il y a des moments où on peut rire de certains souvenirs, dédramatiser.  Mais il y a aussi de la colère, la gestion du barrage d’Eupen revient régulièrement dans les conversations, chacun y allant de son hypothèse mais surtout de son ressenti.  Quand les complications avec les assurances ou le relogement sont évoquées, on entend souvent « ce n’est pas de ma faute, moi, si ma maison a été inondée ! On n’a rien demandé nous ! ».  Agacé et épuisé par les démarches qui semblent ne jamais finir, on se sent vite abandonné et traité injustement.  A Verviers, où un seul assistant social a été désigné pour faire face aux demandes dans les deux centres[1], beaucoup de résidents avaient le sentiment d’être vus comme des « poids morts » encombrants pour la commune et le CPAS. Ce sera la question du relogement qui occupera la plupart des échanges.

Lors des rencontres, il y a souvent l’envie de tout envoyer paitre, et c’est alors que d’autres participants dans le groupe donnent des encouragements, d’autres qui en sont plus loin dans leurs démarches ou simplement plus en forme ce jour-là.  Malgré tout, tous considèrent, paradoxalement, qu’ils « ne sont pas les plus à plaindre, il y a pire que moi, que nous ».  Ils relativisent en se disant qu’au fond, il ne s’agit que du matériel, ils sont en vie ! et pas laissés à la rue, et aussi les travailleurs dans le centre sont sympas, … tout est bon pour se réconforter un peu.

 Dans ce parcours, un autre deuil à faire est celui de pouvoir être relogé dans son quartier, près de son cercle social, de l’école des enfants, de son lieu de travail.  Quitter son quartier est une chose, mais quand on utilise les moyens de transports en commun, se retrouver dans des régions éloignées de son lieu de travail rend le déménagement presque impossible.

Le départ du centre vers un autre logement … de transit !

La problématique du logement était épineuse avant les inondations, elle devient à la fois catastrophique et incontournable après.  Plus de 35.000 immeubles ont été touchés, et selon la RTBF, [2] 1.466 logements sociaux ont été touchés, dont 231 totalement détruits !  Logivesdre, la société verviétoise de logements de service public, a vu 255 de ses logements impactés et on en compte 73 pour Logeo, l’agence immobilière sociale de Verviers.

Les personnes hébergées dans les centres sont pourtant relogées dans des logements sociaux autant que possible puisque le logement privé, on le sait, est trop rarement abordable.

A Liège, les sinistrés, devenu prioritaires, peuvent en refuser deux : s’ils refusent le troisième (règle habituelle des logements sociaux), ils devront chercher ailleurs, dans le logement privé.

A Verviers, le choix possible a été doublé : les personnes peuvent citer 10 communes au lieu de 5 dans leur demande de logement sociaux et ont reçu une priorité en tant que sinistrés, mais pour beaucoup d’entre eux cela ne règle pas leur problème car leurs différentes obligations rendent un déménagement ailleurs presque impossible. Dans le logement privé, le prix des loyers sur Verviers a augmenté entre avant et après les inondations (jusqu’à 600€ pour un appartement une chambre). Cette inflation certainement due à la règle de l’offre et de la demande a choqué beaucoup de personnes car elle empêchait les gens de se reloger de manière correcte et abordable.

Pour s’installer ailleurs, les résidents du centre de Liège bénéficient d’un don de la Croix-Rouge, de quoi acheter le minimum (lit, sommier, …).  Pour le reste, les centres de dons gérés par les citoyens solidaires sont là pour les soutenir. Mais avant de se poser dans ce logement, il faut souvent investir dans le revêtement du sol (celui des locataires précédents est retiré et il faudra retirer celui-ci lors du départ), la peinture pour les murs, un équipement de cuisine et parfois des appareils de chauffage. Or, il s’agit d’investir pour un relogement qui ne sera que provisoire : 6 mois, parfois renouvelables, toujours un maximum de 4 fois, ce qui est la règle habituelle pour les logements d’urgence.

Pour les personnes propriétaires, à plus ou moins moyen terme (tout est relatif quand on sait que les assurances sont encore bien trop lentes pour finaliser les dossiers et que la main-d’œuvre manque tout comme les matériaux) l’objectif étant de réintégrer leur maison, il ne reste plus qu’à espérer que le renouvellement des 6 mois soit possible et suffisant. Et sinon ? cela dépendra de la décision des sociétés de logements…

Concernant les personnes plus précaires qui n’ont pas un foyer à retrouver, avec un profil peu apprécié de certains propriétaires (CPAS, enfants, animaux, …), que va-t-il se passer à la fin de la période de transit ?  Ils seront dispersés, isolés, alors comment et par qui seront-ils accompagnés pour se reloger, se réinstaller ? Ils devront rejoindre la liste d’attentes des logements sociaux en Wallonie ou se retrouver face aux logements privés peu accueillants avec des tarifs inabordables et/ou des qualités de logements peu enviables.  La Région Wallonne vient d’annoncer un « renforcement » de sa lutte contre les logements inoccupés[3]. Sur la ville de Liège, 1078 logements sont recensés comme inoccupés[4]  mais il est loin d’être sûr que cela suffise.  Il ne faudra donc pas les oublier dans les mois qui suivent !

L’histoire continue…

Encore aujourd’hui, des personnes sinistrées sont en recherche d’un logement décent et continuent à arriver dans les centres. Pourtant en mars, la Croix-Rouge fermera ces centres et autres lieux de soutien locaux, qui sont aussi des lieux où l’on se croise, s’encourage, prend des nouvelles, partage avec le voisinage.  Des personnes l’ont écrit sur différentes publications sur les réseaux sociaux : « nous ne sommes pas prêts ».

On peut dire sans crainte que cette catastrophe va laisser des traces à tous les niveaux pour les sinistrés. Entre autres, vis-à-vis des acteurs publics de cette crise qui ont perdu aux yeux de beaucoup de sinistrés le peu de crédibilité qu’ils pouvaient encore leur accorder. Les conséquences de cette catastrophe ne seront pas seulement économiques ou matérielles mais auront également des conséquences psychologiques et sociales, un des résultats est le risque de provoquer une érosion encore plus grande de la confiance que la population accordait à ses dirigeants.

Monsieur Collignon, ministre régional en charge du logement assure que les personnes sinistrées qui occupaient un logement public ont pu être relogées[5], « c’est déjà ça » aurait-on envie de dire.  Mais la question du relogement temporaire ou définitif des personnes victimes de la catastrophe des inondations nous révèle qu’il est plus que temps pour des politiques courageuses qui sortent de la logique des primes, qui créent des solutions durables pour que le droit au logement soit réellement accessible à tous, en agissant au niveau de l’aménagement du territoire, d’un contrôle du prix des loyers, d’une réelle obligation pour chaque commune de construire des logements publics.  Le MOC le rappellera lors de l’appel international pour une journée d’action pour le droit au logement le 27 mars 2022.  [6]

Janvier 2022

[1] Avec, en plus, une possibilité de prendre directement rendez-vous au CPAS

[2] https://www.rtbf.be/article/38-500-logements-wallons-impactes-par-les-inondations-de-juillet-642-sont-totalement-detruits-dont-231-36-sont-des-logements-publics-10837675?id=10837675

[3] https://www.wallonie.be/fr/actualites/la-wallonie-renforce-sa-lutte-contre-les-logements-inoccupes

[4] https://www.rtc.be/article/info/amye-nagement-du-territoire/une-etudiante-developpe-un-nouvel-outil-contre-les-immeubles-a-l-abandon_1511491_325.html

[5] https://www.levif.be/actualite/belgique/relogement-des-sinistres-des-inondations-le-point-positif-six-mois-apres-la-catastrophe/article-news-1514613.html

[6] http://www.housing-action-day.be/fr/home

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