Compte-rendu « Coronakrisis : une crise peut en cacher d’autres » | Une animation en éducation permanente
Il y a un peu plus d’un an, nombreux pays du globe ont mis en place un confinement généralisé pour limiter drastiquement la circulation du nouveau coronavirus responsable d’un syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Il fallait à tout prix éviter un effondrement généralisé des systèmes de soins de santé, déjà fragilisé par un sous-financement public relatif. On entrait alors dans l’inédit. Jamais, de mémoire d’homme, cette mesure politique de santé publique n’avait atteint une telle proportion dans l’histoire de l’humanité.
Il y a presqu’un an, le CIEP a décidé de mettre sur pied une animation en trois parties destinées à mieux se représenter cette réalité, complexe et angoissante. À partir de la figure de l’iceberg qui illustre bien la différence entre ce qu’on peut appréhender à la surface des choses, et les raisons profondes et souvent non visibles qui les déterminent, on a cherché à mieux faire voir les origines des épidémies virales afin d’évaluer les conséquences sociales et politiques du confinement général. Dans un second temps, l’animation proposait une plongée sous la ligne de flottaison, dans le but de saisir les contours de la face immergée de l’iceberg. Comment en était-on arrivé là ? Pourquoi vit-on un déraillement d’une telle ampleur ? Enfin, la troisième partie de l’animation visait à confronter les participant(e)s au grand défi de l’action collective. Et maintenant, que fait-on ?
Ce petit article est le récit des expériences vécues, et des témoignages partagés, lors d’animations lancées à partir de septembre 2020. Les publics étaient essentiellement constitués par les membres des organisations constitutives du MOC (aînés CSC, Vie Féminine, bureaux politiques), ainsi que par des stagiaires, de CISP et de régie de quartier. Notre objectif était de prendre le temps de ressaisir nos vécus de la pandémie, dont le confinement, en tentant de « remettre les choses à plat ». Ce mieux voir n’est-il pas la condition nécessaire à l’appropriation d’un jugement partagé, potentiellement émancipateur ? Dans tous les cas, la mission de l’éducation permanente s’avère ici à la fois pertinente et cruciale, pour tenter de se raccrocher à quelque bouée de sauvetage lorsque l’ordre social est à la dérive.
L’autorité politique de la science face aux inégalités sociales
Le trauma collectif d’une pandémie virale comme celle du covid génère de nombreuses incertitudes. L’animation avait pour vocation d’être une chambre d’échos et de partage de ces doutes. Ces incertitudes, de plus, sont renforcées par des changements de position incessants, qui ne permettent plus de savoir à quel saint se vouer. Mais pour certain(e)s, ça tient de l’évidence. Le raisonnement est limpide. Le virus qui provoque la maladie du covid-19 (SRAS-CoV-2) aurait été fabriqué par des gouvernants tout-puissants dans le but évident d’inoculer aux populations des nanoparticules réceptrices de la 5G, lors d’une campagne de vaccination mondiale qui générera des milliards. La crise sanitaire serait l’occasion d’une déstabilisation de l’ensemble du tissu économique, dans le but de détruire la classe moyenne que l’on fait « mourir à petit feu », voire de surveiller le moindre de nos faits et gestes tout en bâillonnant les gens, grâce à des masques qu’on a été forcés de fabriquer ! On aurait tort de balayer ça d’un revers de la main, aussi contradictoire et farfelu que cela puisse paraître. Ces interrogations révèlent une crise de confiance bien légitime dans les institutions perçues comme « éloignées du terrain ». Qui représentent-elles encore ?
À proprement parler, même si l’animation ne portait pas directement sur l’enjeu de la vaccination, elle pose naturellement nombre de questions à nos publics, puisqu’elle est présentée comme la seule solution par nos gouvernants. Les participant(e)s ont d’ailleurs souvent pointé le problème que nombre d’entre eux/elles envisagent de se vacciner « pour être tranquilles ». D’autres se demandent l’intérêt de ce type de vaccin, puisque le nouveau coronavirus est un virus qui n’est pas immunisant : « Je ne veux pas me retrouver à me faire vacciner tous les ans, je ne le fais déjà pas pour la grippe… ». Le processus du voir/juger a en outre permis de mettre en lumière d’autres voies d’immunisation des populations, plus sociales et naturelles : viser l’égalité d’accès aux droits socio-économiques, garants des égalités sociales de santé.
C’est dans cette perspective d’égalité socio-économique qu’un débat avec des stagiaires en bureautique s’est engagé. Le processus de la confrontation des points de vue a favorisé le passage de la représentation de l’épidémie en tant que complot fantasmé, surpuissant et destructeur, à la mise en évidence de la violence du conflit de classe révélé au grand jour. Le témoignage d’une participante a dirigé le débat vers le cas de l’entreprise Wibra, hautement significatif à cet égard. Alors que l’entreprise percevait des indemnités d’état pour sécuriser les revenus – matérialisant à nouveau le credo néolibéral de la « socialisation des pertes et privatisation des profits » – ses 300 employés ont été licenciés sans préavis, du jour au lendemain, comme la loi l’y autorisait. Le covid, un effet d’aubaine ?
Des institutions en faillite ?
Pour autant, cet « effet d’aubaine » est très inégalement réparti entre les membres de notre société. En évoquant l’accélération vers le tout-numérique, nombreux témoignages se sont inquiété de l’avenir du travail, à distance de tout rapport social. En creux, on s’est d’ailleurs posé la question, au sein du groupe de participation citoyenne de Seraing, de savoir ce qu’est vraiment du travail dans le fond.
Dans le même sens, l’animation ciblait la « fracture numérique », qui s’est aggravée à cause de la pandémie, puisqu’elle a rendu l’accès au numérique indispensable[1]. Pour les seniors de la CSC de Waremme, la numérisation intégrale c’est « la cata chez de nombreux aînés » ! Néanmoins, force est de constater qu’elle n’a pas que des effets négatifs, comme en témoigne une jeune stagiaire non-francophone : ses deux jeunes fils ont progressé en français, foi de logopède, grâce aux jeux vidéo en ligne avec des copains de classe.
La grille de lecture des événements proposée par l’animation juge la frontière de plus en plus floue entre la crise sanitaire et la crise économique et sociale. C’est dès lors apparu comme une évidence à une participante travailleuse en régie de quartier : « l’économie va nous mettre plus à plat que la crise sanitaire elle-même ! ». Et nous vient en mémoire le témoignage d’une permanente CSC qui rapportait qu’une travailleuse de titres-services ne disposait plus que de 340 euro par mois pour vivre : le gel de nos économies est une décision politique, requise par la situation sanitaire. Mais jusqu’à quel point, s’est-on demandé ? La gestion de la crise par nos institutions démontre pour nos publics un sentiment de peur panique généralisée, ainsi qu’une grande difficulté à prendre des responsabilités autres que par des mesures très contraignantes et trop souvent aveugles, sous le seul prétexte que les chiffres le commandent.
En évoquant les chiffres jugés « dangereux parce que facilement manipulables », nombreuses interventions des participant(e)s allaient dans le sens d’une incompréhension du choix des indicateurs les plus relayés dans les médias pour juger de l’état de l’épidémie. D’abord la mortalité, puis le nombre d’admissions dans les hôpitaux (en particulier les admissions en unités de soins intensifs), puis uniquement les résultats des tests PCR. Il est légitime de se poser des questions lorsque les décisions politiques ne semblent plus guidées que par des chiffres.
Ces questions soulevées par l’animation ont fait dire à des militantes de Vie Féminine que les états, dont on peut penser qu’ils ont organisé leur défaillance – « Voyez le sous-financement des soins de santé et le manque permanent de personnel soignant ! » –, laissent toujours plus de terrain aux entreprises privées. Or la gestion d’une pandémie nécessiterait un état régulateur et protecteur. Cela doit notamment impliquer, pour l’une d’entre elles, de ne pas jouer les uns (les vieux et les « inactifs ») contre les autres (les jeunes et les travailleurs), mais au contraire de pratiquer des politiques d’inclusion qui ne peuvent se réaliser que par le bas de l’échelle sociale, et non l’inverse ! Plus largement, comme l’a affirmé sans détour une de leurs participantes, « une société malade de sa santé va forcément droit dans le mur ! » Mauvais signe pour l’avenir… Mais quel avenir ?
Un monde en crises : quelle place pour les mouvements sociaux ?
Cette pandémie globalisée enraye de nombreux pans du système mondial car les états du monde entier sont tellement interconnectés aujourd’hui qu’un éternuement à Singapour peut devenir une authentique semaine de bonne crève à Bruxelles. Le confinement généralisé des populations est un phénomène nouveau par son ampleur, aux conséquences certainement désastreuses. Pourtant, une épidémie est un phénomène profondément dynamique et complexe : des règles indispensables ici n’ont potentiellement aucun effet là-bas, sinon indésirable. La proportionnalité des mesures ne devrait-elle pas par conséquent être la règle générale ? Une participante de la CSC de Waremme avait parfaitement raison d’attirer notre attention sur le fait que tous les aînés ont aveuglément été mis dans le même sac des « personnes-à-risques », sur base du seul critère de l’âge, « plus de 65 ans ».
Dans le même temps, cette dame insistait sur le danger considérable d’un « repli sur soi généralisé » et sans distinction, aussi bien au sein de notre société que dans nos relations avec d’autres nations, en particulier les plus pauvres. Où en est la solidarité mondiale, notamment à l’heure d’un partage totalement inéquitable des vaccins[2] ? Qu’en sera-t-il aux lendemains de la pandémie ?
Par rapport à tous ces défis, la question de savoir la place que les mouvements sociaux doivent prendre, et le rôle qu’ils doivent jouer, est capitale à nos yeux. Si l’importance de faire mouvement peut apparaître plus clairement aujourd’hui, la question des échelles de l’action doit être posée : à qui s’adresse-t-on et dans quel cadre envisager des solutions ? On peut penser que si l’action est toujours localisée, la conscience des enjeux doit nécessairement être globale ! La place qui revient à l’éducation permanente prend tout son sens dans ce débat. En résonance avec la réaction d’une militante de Vie Féminine, cette animation a au moins montré que « c’est fondamental de pouvoir identifier le problème : si on se rend mieux compte de comment les choses se passent, ça permet d’être plus créatif ! »