Compte-rendu: « COVID vu du Sud, enjeux mondiaux d’accès aux vaccins » une conférence/débat WSM

VisioConférence/débat organisée par le groupe WSM de Liège
Mercredi 17 mars 18H30

La crise COVID montre les limites d’une mondialisation trop poussée et met à jour des difficultés d’accès aux médicaments qui concernent maintenant aussi bien certains de nos pays privilégiés que les pays du Sud qui connaissent ce problème depuis longtemps. La course mondiale actuelle aux vaccins met en lumière une fois de plus les énormes inégalités d’accès entre pays à ce qui est devenu un marché mondial du médicament. Pour les pays du sud, l’inégalité d’accès au vaccin COVID n’est qu’une manifestation de plus de leur position globalement désavantageuse dans l’ordre pharmaceutique international basé sur la rentabilité. Cette rencontre organisée par WSM, l’ONG du MOC, avait pour objectif de mettre en lumière cette manifestation d’inégalité supplémentaire, et d’en savoir plus sur la situation chez nos voisins du Sud.

Les effets du COVID dans les pays du Sud

Selon François Polet, chercheur en Centre Tricontinental (CETRI), la présence du virus et sa mortalité sont très variables dans ce qu’on appelle le « Sud ». Ainsi, les continents asiatique et africain sont largement épargnés en comparaison avec le continent américain et européen. Peu de contaminations, peu de morts…Plusieurs facteurs, encore hypothétiques, entrent en jeu : population jeune, présence d’autres agents pathogènes, bagage génétique, climat, vie sociale à l’extérieur, certaines politiques de santé publique très réactives (Cambodge et Vietnam notamment) … Il note cependant que d’autres maladies infectieuses ou parasitaires telles que le paludisme, les maladies diarrhéiques ou le VIH ont continué à circuler, provoquant pour chacune d’entre elles davantage de morts que ceux attribués au COVID, dans certains pays la crise sanitaire reste permanente. Par contre, même si l’impact directe du COVID reste limité dans certains pays, les mesures « anti-covid », le prix des denrées alimentaires ou l’arrêt des exportations ont eu indirectement des impacts importants sur les revenus des populations, dont un grand nombre, d’après les statistiques, ont basculé vers des seuils de pauvreté inférieurs durant la pandémie.

Ces conséquences sociales, Aboubakar Koto Yerima, coordinateur de l’ONG béninoise Action pour la protection sociale (APROSOC) soutenue par WSM, peut en témoigner. Même si le Bénin n’accuse qu’un nombre très limité de cas de contamination et de décès, les conséquences du COVID ont surtout été économiques et sociales.  Très réactif face à la menace du covid, l’Etat a pris des mesures fortes d’interdiction de rassemblement, de marchés, de transports en communs, d’isolement de certaines zones géographiques… qui ont fait en sorte que des acteurs de l’économie informelle et agricole, la majorité des travailleurs dans ce pays, ont dû faire face à de sérieux manques à gagner, face à quoi les aides sociales de l’Etat n’ont pas été à la hauteur de ce qui était attendu. Sans oublier les conséquences sur le vie sociale et culturelle (marchés, cultes, enterrements…). Cela engendre une incompréhension des populations qui conduit les autorités à une certaine souplesse consistant à mettre l’accent sur la sensibilisation, l’aspect temporaire de ces mesures et l’appui de certaines aides.

Koto Yerima attire également l’attention sur le manque de moyens dont souffrent les pays du Sud. Au Bénin, les collectivités territoriales sont sollicitées pour mettre en œuvre les plans anti-covid mais avec des moyens matériels insuffisants. Toutefois elles continuent un travail de sensibilisation sur les recommandations sanitaires de base et encouragent les populations rurales à continuer à consulter les centres de santé locaux malgré la crainte du COVID. Dans ce sens, pour Koto Yerima, cette pandémie pourra néanmoins avoir des conséquences positives en matière de sensibilisation à l’hygiène.

La course au vaccin et ses enjeux internationaux

Dans la course mondiale au vaccin, les quelques firmes pharmaceutiques qui ont développé des vaccins à une vitesse record (moins d’un an), en partie grâce à de l’argent public, font à présent monter les enchères selon les principes de l’offre et de la demande. En position de faiblesse face à ces firmes, les Etats occidentaux négocient avec celles-ci dans une forme de « nationalisme vaccinal », soumis à de forte pressions médiatiques et de l’opinion publique. Alors qu’une meilleure concertation entre Etats, à l’image de ce qui s’est tout de même produit au niveau de l’Union Européenne, aurait pu faire basculer le rapport de force et permettre pour chaque pays un accès plus équitable et à des prix avantageux aux vaccins.

En même temps, la plateforme privé/publique internationale « COVAX »[1] , a priori à contre-courant du « business as usuel », cherche à s’inscrire dans une logique de bien public mondial. Koto Yerima nous confirme que le Bénin s’est inscrit dans cette initiative, grâce à laquelle 144 000 doses sont arrivées sur les 800 000 commandées. Toutefois, le rythme est lent et il est déjà évident que l’efficacité de ce dispositif sera amoindrie par les accords prioritaires que les pays riches signent parallèlement avec les laboratoires, dont le montant cumulé dépasse plusieurs fois les sommes allouées par ces mêmes pays au dispositif COVAX. Dans le même ordre d’idée, si Astra Zeneca affiche l’ambition de vendre leur vaccin à prix coûtant pour certains pays, de n’est visiblement que dans un premier temps, de plus cette même firme pharmaceutique s’est fait remarquer en vendant à l’Afrique du Sud des doses deux fois plus cher que celles vendues au Royaume-Unis. De plus, au sein de l’OMC, les pays industrialisés viennent une nouvelle fois de refuser la demande de pays du Sud, dans ce cas si de l’Inde et de l’Afrique du Sud appuyés par un grand nombre de pays pauvres, d’assouplir exceptionnellement pour faire face au COVID certaines règles liées aux brevets. De manière générale dans ce marché mondial des médicaments, l’innovation reste bien trop associée au secteur privé et au business de quelques grandes multinationales en particulier au détriment de programmes de recherches publiques à l’échelle internationale.

On voit donc bien qu’au-delà de certaines postures, les leaders publics et privés des pays riches maintiennent la course au profit au cœur du système sanitaire mondial. Au final, ces logiques nuisent à l’éradication du COVID et laissent la porte ouverte à la circulation mondiale de nouveaux variant qui vont continuer à proliférer.

De plus, face à ces vaccins occidentaux qui arrivent au compte-goutte, et aux difficultés de négociation avec leurs producteurs, les pays du Sud se tournent de plus en plus vers les vaccins indiens, russes, et chinois ce qui laisse supposer des conséquences géopolitiques certaines sur la perte d’influence des Etats Unis et de l’Union Européenne sur la scène mondiale.

Au cours de cette rencontre, il a été question également d’une nouvelle plateforme de revendications dans laquelle WSM est active : https://noprofitonpandemic.eu/   qui essaie notamment d’obtenir 1 millions de signatures afin d’enclencher une « initiative citoyenne européenne » qui obligerait la commission européenne à réagir officiellement dans le sens de considérer la santé davantage comme un bien commun qu’une source de profit.

Au final, espérons que la pandémie COVID ait au moins le mérite de mettre en lumière et de remettre en question ce pouvoir disproportionné pris par quelques firmes pharmaceutiques au détriment des Etats et de la santé de leurs populations.

[1]Lancée en avril par l’Alliance du Vaccin (GAVI), en association avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la fondation CEPI 1, la plateforme COVAX, pour « COVID-19 Vaccines Global Access », vise à contrer cette logique du chacun pour soi en mettant en commun les contributions des États (ils sont plus de cent quatre-vingts à avoir rejoint l’initiative) en vue de soutenir la recherche et la production d’un grand nombre de vaccins, de négocier les meilleurs prix possibles avec l’industrie et de garantir une distribution équitable des doses entre pays et à l’intérieur de ceux-ci. Le dispositif est assorti d’un mécanisme de cofi nancement par les pays riches d’un milliard de doses qui sera réservé aux nonante deux pays les plus pauvres, au nom du principe selon lequel « personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne sera pas en sécurité ».  François Polet “Le Sud de nouveau victime du marché des medicaments”, Revue Démocratie janvier 2021 p.11. Lire également de François Polet: « Covid 19 au Sud : face au « nationalisme vaccinal », l’enjeu de la souveraineté sanitaire »

 

 

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