Christian Kunsch à l’Echo : « Le danger, c’est l’ubérisation de la société »

Ce nouveau round budgétaire fédéral, vous l’envisagez avec appréhension ?
Le fait qu’ils doivent une nouvelle fois corriger le tir souligne le manque de crédibilité du budget. Les recettes sont surestimées. Le problème est que lors de chaque exercice budgétaire, le gouvernement ressort avec une réforme structurelle, comme le soi-disant tax shift ou la refonte de l’impôt des sociétés qui se prépare. Nous ne disons pas que ces réformes ne sont pas nécessaires, mais qu’elles focalisent toute l’attention. En la détournant de l’exercice budgétaire en tant que tel, où les comptes ne sont pas bons. Comme la copie n’est pas réussie, le gouvernement est tenu de prendre des mesures d’économies complémentaires, qui amaigrissent l’État, affaiblissent les services publics et fragilisent la sécurité sociale. Le voilà, le danger : une sorte « d’ubérisation » de la société. Croire que l’on peut fonctionner sans cotisations sociales ou impôts, que chacun peut faire face seul aux défis de la vie. Cela renvoie les gens à eux-mêmes et fragilise le ciment collectif.
Vous y croyez, vous, au retour à l’équilibre budgétaire en 2018 ?
On parle d’environ 7,8 milliards à trouver d’ici 2018. Et d’un exercice de 2,4 milliards pour 2017 ? Cela ne tient pas la route de vouloir faire porter l’essentiel de l’effort sur les dernières années de la législature. La Belgique ne va pas y arriver.
Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, pour vous, ça.
C’est vrai : nous ne sommes pas de fervents partisans d’un marathon menant coûte que coûte à l’équilibre. Même s’il est important que les dépenses publiques soient maîtrisées. Non, ce qui est plus important, c’est de voir comment on se rapproche de l’équilibre. Encore sabrer dans les services publics, alors que le SPF Finances est en déliquescence et n’est plus capable de percevoir normale-ment l’impôt ? Déforcer une Justice déjà désargentée et dans laquelle de moins en moins de Belges croient ?
Que proposez-vous ?
Il existe des gisements de recettes que le gouvernement n’explore pas. Où est donc la volonté politique, en Belgique, de lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales ? Heureusement que l’Europe et l’OCDE, qu’on a tendance à accuser de tous les maux, sont là pour mettre de l’ordre et faire cesser le dumping fiscal, cette spirale du « moins-disant » où tous les pays s’appauvrissent. Tout le monde finit par y perdre.
Le gouvernement veut faire chuter l’Isoc de 33,99% vers 20%. Une bonne chose ?
Déjà, il est faux de dire qu’un taux de 34% est scandaleux. Parce qu’il existe tant de déductions que le taux effectif se situe entre 23% et 26%. Mais oui, nous sommes favorables à une réforme. Cela aura le mérite de placer les entreprises sur un pied d’égalité, PME ou multinationales. Avec des mécanismes comme les « excess profit rulings », certains géants parvenaient à réduire leur base imposable jusqu’à 90% ! La condition est que cette réforme doit être budgétairement neutre. Voire bénéficiaire.
Et comment la financer ?
Il faut mettre de l’ordre dans tous ces mécanismes de déductibilité, qui vont parfois jusqu’à l’exonération. Et supprimer les intérêts notionnels. Pour moi, l’octroi d’aides fiscales ne devrait pas être inconditionnel. Il faut privilégier les secteurs porteurs d’avenir et qui créent de l’emploi. Je ne suis pas opposé au soutien à l’investissement, mais cela doit répondre aux enjeux qui nous attendent, comme l’emploi ou le défi énergétique et climatique. Et puisque l’on parle financement, je m’étonne qu’il n’y ait toujours pas de volonté politique de mieux connaître les revenus en Belgique.
Vous parlez d’un cadastre des fortunes ?
Oui. La solution passe toujours, pour nous, par une globalisation des revenus, en ce compris donc les plus-values, et une meilleure progressivité de l’impôt. C’est une question d’équité fiscale. Ainsi qu’une réponse aux enjeux de demain : emploi ou climat, mais aussi cohésion sociale, service public et sécurité. Là où la politique d’amaigrissement à tout crin a déjà montré qu’elle était un échec. C’est ce que j’attends d’une copie budgétaire : y voir une réponse à tous ces enjeux. Mais non, on a tendance actuellement à aseptiser la question fiscale, à la dissocier des enjeux fondamentaux.
La rentrée est également sociale. Que pensez-vous du projet de Kris Peeters visant à annualiser le temps de travail ?
On ne peut mener une politique qui, pas à pas, valide les thèses d’un seul côté, celui des employeurs, en faisant fi de l’existence d’un autre camp. C’est un problème fondamental. Actuellement, les dérogations en termes de temps de travail sont discutées de manière paritaire par les partenaires sociaux. Vous savez, les syndicats sont à même d’entendre qu’il existe des facteurs, au sein d’une entreprise, qui justifient une adaptation du temps de travail. Or ici, le projet de Kris Peeters fait disparaître l’élément de négociation et permet à l’employeur de l’imposer. Derrière les réformes structurelles portées par le gouvernement se cache une volonté d’affaiblir la concertation et, ce faisant, les syndicats. Notamment parce qu’il existe, au sein de l’exécutif, une composante pour qui toutes les organisations intermédiaires sont inutiles.
Les travailleurs ne pourraient-ils pas bénéficier, eux aussi, d’une plus grande flexibilité ?
L’important est de baliser la réforme et de placer des garde-fous. La concertation est ce qui permet d’avoir des relations sociales plus apaisées. Si les syndicats sont exclus de la discussion, toutes les dérives deviennent possibles. En opposant sans cesse les uns aux autres, le gouvernement joue la division et nous mène vers une société plus conflictuelle.

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