Contrôle des allocataires sociaux : les données énergétiques pour preuves d’une fraude sociale ? Injuste, irréaliste et illégal !
Un communiqué du Service Social Energie de la Fédération des Services sociaux et de la Coordination Gaz Eau Electricité (CGEE) – dont le MOC Bruxelles est membre – dénonce le caractère injuste, irréaliste et illégal de l’autorisation par le gouvernement fédéral d’utiliser des données énergétiques (consommation d’eau, de gaz et d’électricité) afin de contrôler – encore davantage les assurés sociaux.
Contrôle des allocataires sociaux : les données énergétiques pour preuves d’une fraude sociale ? Injuste, irréaliste et illégal
Dans le cadre de son nouveau plan de lutte contre la fraude sociale, le secrétaire d’Etat Bart Tommelein a transmis une note de politique générale en décembre 2014 à la Chambre, mettant singulièrement l’accent sur « la volonté de s’en prendre (…) aux assurés sociaux malhonnêtes » [1]]. Celle-ci prévoit, entre autres, un renforcement des contrôles des allocataires sociaux qui déclarent vivre seuls, par le recueil de leurs données de consommation énergétique (eau, gaz, électricité).
Le Centre d’Appui SocialEnergie de la Fédération des Services Sociaux avait, dès décembre dernier, vivement dénoncé ces premières velléités. Le 3 avril 2015, une étape supplémentaire a pourtant été franchie : le Conseil des Ministres a approuvé le « plan d’action 2015 » de Bart Tommelein, regroupant 85 mesures parmi lesquelles la lutte contre le cumul interdit d’allocations et contre la domiciliation fictive des demandeurs d’emploi poursuivant l’obtention d’une allocation majorée en matière de chômage ou d’assurance maladie invalidité [2]].
Le plan prévoit que pour atteindre efficacement cet objectif, le gouvernement va instaurer un système de transmission automatique, par les fournisseurs à l’administration, des données énergétiques des allocataires sociaux. Cette opération, qualifiée de « datamining de l’assuré social » [3]], profilerait les abuseurs. Ainsi, si les consommations sont anormalement élevées pour une personne, celle-ci serait soupçonnée de ne pas vivre seule, mais de cohabiter avec une personne domiciliée ailleurs. A l’inverse, si une personne ne consomme rien, ce serait le signe qu’elle n’habite pas où elle le prétend, et que sa domiciliation est donc fictive. La Banque-carrefour de la sécurité sociale (BCSS), à laquelle est reliée l’ensemble des organismes de l’ONSS (ONEM, INAMI, ONP,…), deviendrait une plaque tournante du croisement de base de données transmises par les fournisseurs, et de leur diffusion pour débusquer les fraudeurs.
Le Centre d’Appui SocialEnergie (CASE) et la Coordinaton Gaz-Electricité-Eau (CGEE) déplorent cette mesure qu’ils jugent irréaliste, injuste et illégale. L’opérationnalisation de cette dernière nécessite toutefois le vote d’une loi. Le CASE et la CGEE appellent dès lors les travailleurs sociaux, au nom de leur structure ou en leur nom propre, à faire valoir leur désapprobation afin qu’un projet de loi entérinant ce mécanisme ne soit pas voté prochainement par la Chambre des représentants. Ce projet peut être mis à l’agenda de la Chambre d’un jour à l’autre.
Une mesure irréaliste
Premièrement, l’application de cette mesure est irréaliste : en effet, elle suppose la définition d’une norme en-dessous et au-dessus de laquelle une consommation d’énergie sera considérée comme « anormale ». Hors, nous savons que la consommation d’énergie d’un ménage est extrêmement dépendante de nombreux facteurs tels que l’état et la taille du logement, les équipements présents et les habitudes de consommation.
Très souvent, les allocataires sociaux sont locataires de logements mal isolés très énergivores. Inversement, une sous-consommation peut être due à de graves situations de privation de chauffage. Sur le terrain, nous constatons quotidiennement des familles allocataires qui éteignent le chauffage pour éviter les factures d’énergie élevées. Citons également l’état de santé et le temps de présence dans le logement comme déterminant de la consommation d’énergie d’une famille. Les personnes âgées et enfants en bas âge nécessitent en effet un plus grand confort thermique.
On note d’ailleurs à titre illustratif que, d’un point de vue purement statistique, l’écart-type des factures énergétiques harmonisées en fonction de la taille des ménages est de l’ordre de 50% de la moyenne des consommations. En d’autres termes, on peut considérer qu’il est fréquent, et dès lors normal, qu’un ménage consomme 50% de plus ou 50% de moins que la moyenne. Il apparaît dès lors pratiquement impossible de définir une norme de consommation moyenne fiable sur la base exclusive de la composition de ménage [4]].
Une mesure injuste
En conséquence, nous considérons que cette mesure est profondément injuste car elle participe à conforter un sentiment de suspicion envers l’ensemble des personnes allocataires sociales, déjà précarisées. La définition d’une norme favoriserait la stigmatisation des personnes qui seraient considérées comme étant en sur- ou sous-consommation.
Les études montrent que la précarité énergétique augmente les sentiments d’isolement social et de honte. Ces sentiments seraient encore renforcés par cette suspicion de comportement frauduleux.
Plutôt que de consacrer des moyens financiers au croisement de bases de données en vue d’identifier des situations de fraude, nous plaidons pour allouer ces budgets à des dispositifs qui permettent la rénovation des logements et la réduction des factures énergétiques.
Car si un nombre très limité d’allocataires sociaux choisissent de se déclarer personnes isolées, c’est peut-être avant tout pour leur permettre de payer leur loyer et d’honorer leurs factures d’énergie auprès de leur fournisseur.
Une mesure illégale
La mise en oeuvre de ce croisement massif de données nécessiterait une communication de la part des fournisseurs ou des gestionnaires de réseau de distribution vers la BCSS.
Or les données de consommation d’énergie sont des données à caractère personnel dont l’utilisation est soumise strictement à la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel (« loi vie privée »). Cette loi pose plusieurs exigences parmi lesquelles la proportionnalité de la diffusion des données à l’objectif poursuivi (ici, la lutte contre la fraude sociale).
Ainsi, seules des données adéquates et pertinentes peuvent être légalement transmises, et non toutes les données énergétiques de tous les allocataires sociaux. Or, nous avons déjà mentionné qu’il est totalement hasardeux de définir des seuils de consommation énergétique en-dessous ou au-dessus desquels une domiciliation fictive peut être suspectée.
Conclusion
En bref, le projet de B. Tommelein doit être radicalement écarté. Non seulement, aucune norme de consommation moyenne qui serait l’étalon de consommations suspectes, ne peut être dressée. La traque aux sur et sous-consommation des allocataires sociaux ne peut dès lors qu’être stigmatisante, voire discriminatoire. Enfin, une telle pratique de communication de données privées serait contraire à la législation en la matière.