Le travail indécent en Belgique, un modèle qui a de l’avenir
Lorsque se pose la problématique du travail décent, on ne peut s’empêcher de penser aux
travailleurs exploités des pays du Sud, aux enfants en guenilles qu’on voit au journal télévisé, à
l’esclavage et au travail des enfants. Toujours le pire et toujours ailleurs. Souvent des pays pauvres
gouvernés par des tyrans, où l’esclavage est probablement culturel, sont montrés du doigt. Ces
peuples ne sont-ils pas les seuls responsables d’avoir choisi des dictateurs pour les gouverner ?
Le Mantra néo-libéral professe qu’une fois qu’on leur aura expliqué les règles du jeu international
comprenant le libre échange, la soumission aux normes du FMI et de la banque mondiale ainsi
qu’aux politiques d’ajustements structurels, qu’une fois qu’on les aura responsabilisés financièrement
par le remboursement de la dette et en investissant intelligemment à leur place ; la croissance
obtenue permettra, c’est évident, l’amélioration des conditions de vie du travailleur.
N’a-t-on pas vu l’efficacité de ces programmes un peu partout dans le monde ? Qui ne rêve pas du
niveau de vie du Congo, qui a appliqué consciencieusement ces plans depuis l’époque Mobutu ? Qui
n’a pas vu le progrès engendré par ces réformes lorsqu’elles ont été appliquées en Argentine, aux
Philippines, au Chili ou ailleurs ?
Dans la même logique, nous, travailleurs des pays développés, devons aussi accepter les règles du
jeu. Par exemple, la mise en concurrence de la main d’oeuvre qui entraîne le nivellement par le bas
des conditions de travail. Le truc est simple : « Si tu te plains trop, je délocalise chez moins
gourmand que toi ».
Certains diront par souci de correction morale : « N’est-il pas indécent de se plaindre que nos
conditions de vie et de travail empirent chez nous aussi ? Nous exigeons des CDI correctement
payés alors que dans les pays, pauvres ou émergeant, les travailleurs luttent pour obtenir le
minimum vital en travaillant ». La FEB, nous en sommes certains, sera touchée par l’humanisme de
l’argument. C’est donc, sans doute, par souci d’éthique que nos décideurs ont pris le parti d’attaquer
un peu partout la sécurité de l’emploi en appliquant les règles de ce jeu de dupes.
Le principe est le même ici et ailleurs. La concurrence nuit aux travailleurs.
En effet, en Europe, pour jouer le jeu de cette concurrence internationale, il y a beaucoup de cartes à
défausser : la sécurité et la stabilité de l’emploi, le chômage, les pensions et plus globalement la
sécurité sociale. Les institutions européennes ont d’ailleurs récemment approuvé le Pacte pour
l’Euro+ ainsi que le « six-pack » qui offre un cadre « élevant le dumping social au rang de normes et
assujettit les démocraties nationales à la politique néolibérale du Conseil ECOFIN. » [1]
Pour la Belgique, la réponse actuelle proposée par les dirigeants politiques consiste en deux volets :
La flexibilité et l’activation du comportement de recherche d’emploi (ACR). La flexibilité consiste à
ne jamais savoir quand son contrat va s’arrêter, l’ACR vous force à chercher le contrat suivant.
Ensemble, elles forment un couple très dynamique, l’une met le travailleur sous pression en le
soumettant à l’insécurité permanente de son emploi. L’autre met le chercheur d’emploi dans
l’obligation d’accepter n’importe quel travail sous peine de perdre son revenu de remplacement. Le
travailleur est donc contraint par la nécessité, sous la menace de perdre la dignité et/ou son
intégration dans la société, d’accepter des tâches diverses dont certaines sont contraires à son
épanouissement.
Pour être plus concret, prenons l’exemple des jeunes sur le marché de l’emploi actuel en Belgique.
Partout, le système de l’intérim est vanté comme la meilleure porte d’entrée vers l’emploi. En réalité,
c’est la seule forme de statut possible pour de nombreux jeunes travailleurs. Ils voguent entre
intérim et chômage : voilà le partage du temps de travail pour les pauvres. En effet, la proportion de
jeunes dans les emplois à courte durée est constamment en hausse [2]. On pourrait s’étonner que
Fédergon (la fédération des agences intérim et d’out-placement) prétende qu’un jeune sur deux, mis
à l’emploi dans le cadre d’un CDI, l’est grâce à ses agences. Alors que, dans le même temps, ce
lobby remet au gouvernement un mémorandum dans lequel il plaide pour la disparition pure et
simple des contrats à durée indéterminée [3]. Nous voyons ici en oeuvre la flexibilité sacrée. Quelle
est son incidence sur la décence du travail ? C’est très simple, si vous pouvez être privé de votre
emploi du jour au lendemain, vous ne pouvez pas vous plaindre de vos conditions de travail. Les
jeunes en témoignent tous les jours :
« Lorsque l’on est engagé mais qu’on ne l’est peut-être plus pour longtemps, on ne se défend pas. »
Cette concurrence entre travailleurs est encore accentuée par le projet cynique d’activer le
comportement de recherche d’ emploi alors qu’il y a clairement plus de chercheurs que d’emplois
disponibles et que la tendance va en s’accentuant [4].
La pression subie par le chercheur d’emploi le pousse à accepter n’importe quoi et l’empêche de
faire valoir ses droits en cas d’abus.
« Lorsqu’on est dans la situation d’accepter n’importe quoi pour vivre, on finit par tomber sur n’importe quel patron » [5]
.
Dans l’entreprise, les travailleurs sont de plus en plus considérés comme des outils en vue de
maximaliser le profit à court terme. Au niveau systémique, corvéables et jetables à souhait, ils sont
vus comme une variable d’ajustement permettant au capital de garantir, voire d’augmenter son taux
de profit.
La JOC et la JOCF s’opposent fermement à cette évolution qui a des conséquences majeures sur la
qualité de vie des populations. A cette mondialisation où prospèrent les capitaux et les flux
financiers, opposons une mondialisation du travail décent et des conquêtes sociales. Seul un
mouvement de masse et combatif est à même de remporter ce combat.