TTIP/CETA : découvrez un dossier informatif complet
En 2013, les Etats-Unis et l’Union européenne annoncent le lancement des négociations d’un nouveau traité, baptisé « TTIP » pour Transatlantic Trade and Investment Partnership. Mais les discussions ont dans les faits débutés il y a plus d’une quinzaine d’années.
Aujourd’hui, la phase finale des négociations sur le TTIP a démarré. La Commission européenne y est représentée par le libéral flamand Karel De Gucht chargé de la négociation du traité. L’objectif est d’avoir un accord avant les élections présidentielles américaines, Barack Obama ayant fait du TTIP l’une des priorités de sa présidence.
En deux mots, le TTIP est un accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne dont l’objectif est de permettre aux biens et services de circuler tout à fait librement en réduisant les barrières douanières (déjà très basses) et les barrières non-tarifaires (normes techniques, environnementales, sociales…). Les entreprises estimant qu’elles sont soumises à un excès de réglementations qui accroissent leurs coûts et nuisent à leur compétitivité. Mais les normes en matière d’environnement, de sécurité alimentaire, de sécurité et santé au travail… sont élevées en Europe, il ne faudrait donc pas porter atteinte à ce niveau de protection.
Cela implique que les états vont :
Ouvrir leur territoire aux entreprises (et pas seulement aux marchandises importées)
Ouvrir des secteurs jusqu’alors protégés (entreprises publiques, services publics, secteur non marchand, sécurité sociale…) aux capitaux privés
Accroître les moyens d’influence des entreprises sur le processus législatif
Créer un tribunal privé devant lequel les entreprises pourront attaquer les lois des Etats et demander des compensations financières, aux frais du contribuable. L’Union européenne demande une élimination totale des droits de douane. Ils s’élèvent en moyenne à 2,2 % aux Etats-Unis et à 3,3 % en Europe. La suppression des droits de douane aura en moyenne un impact plus important en Europe qu’aux Etats-Unis, puisque ces droits sont plus élevés chez nous. Certains secteurs seront plus concernés que d’autres. L’UE taxe encore significativement certaines marchandises importées des Etats-Unis, notamment les produits agricoles, les camions (22 %), les chaussures (17 %), les produits audio-visuels (14 %), les vêtements (12 %)…
L’élimination des droits de douane aura les impacts suivants :
Les secteurs autrefois protégés subiront une concurrence accrue en provenance des
Etats-Unis. Le passage à un marché transatlantique fera de la « compétitivité » l’Evangile des entreprises et des gouvernements, avec le risque d’une nouvelle pression à la baisse sur les salaires, les normes sociales et la fiscalité des entreprises.
Les entreprises américaines n’auront plus besoin d’investir en Europe pour pénétrer le marché européen comme ce fut le cas lors du marché commun (protégé par des barrières douanières). Avec le TTIP, la situation s’inverse le coût du travail, les coûts énergétiques sont plus faibles aux Etats-Unis et que les syndicats y sont moins forts qu’en Europe. En outre, les entreprises américaines bénéficient de la proximité d’un pays à bas salaires, le Mexique.
Les entreprises vont de plus en plus segmenter la fabrication de leurs produits et délocaliser certaines étapes de la fabrication vers les Etats-Unis. Le but est de favoriser la réorganisation des entreprises en « entreprises-réseau ».
B/ l’élimination des réglementations
Les entreprises estiment qu’elles sont soumises à un excès de réglementations, ce qui accroît leurs coûts et nuit à leur compétitivité. De plus, ces réglementations différent selon qu’elles opèrent dans l’UE ou aux USA. Elles réclament une « coopération réglementaire » pour réduire les coûts que représentent les réglementations.
La Commission européenne est particulièrement sensible à ce discours. Elle estime que « 80 % des gains potentiels totaux [du TTIP] pourraient provenir de la diminution des coûts imposés par les doublons bureaucratiques ». Et elle propose de passer en revue les réglementations dans de très nombreux secteurs, parmi lesquels l’automobile, la chimie, la pharmacie, la santé, les technologies de l’information, la finance. Le problème est que les différences de réglementations entre l’UE et les USA ne sont pas là pour ennuyer les entreprises. Elles reflètent avant tout des options politiques radicalement différentes. L’Europe est beaucoup plus progressiste que les USA dans de multiples domaines : droits des travailleurs, protection sociale, lutte contre les inégalités, interdiction des OGM, interdiction de l’exploitation du gaz de schiste, contrôle des molécules chimiques synthétiques, lutte contre le réchauffement climatique…
Le TTIP menace donc frontalement le modèle social européen.
C/ la commercialisation des services
Le but est d’ouvrir le secteur des services à la concurrence, sans faire de distinction a priori entre les services fournis par des firmes privées (services financier, informatique, consultance, transport aérien…) et les services publics (la santé, l’éducation, la culture, les services de réseaux…).
Quand on lit le mandat de négociation de l’UE, on se rend compte qu’elle est prête à aller très loin : ouverture à la concurrence de tous les secteurs et modes de fourniture de services ; accès au marché pour les entreprises américaines dans des secteurs depuis longtemps protégés, en reconnaissant le caractère sensible de certains secteurs ; ouverture à la concurrence des entreprises publiques et des entreprises subsidiées par l’Etat (donc le secteur non marchand).
D/ les marchés publics
Le TTIP vise également à accroître la concurrence dans les marchés publics. Ceux-ci désignent les procédures d’appel d’offres lancées par les pouvoirs publics. L’idée est de faciliter l’accès des entreprises étrangères à ces appels d’offres et de rationaliser les critères sur base desquels l’entreprise prestataire sera choisie donc suppression de la prise en compte d’un critère géographique dans les appels d’offres.
E/ les droits de propriété intellectuelle
Le TTIP renforcera les droits de propriété intellectuelle des entreprises. Exemple Les brevets sur les médicaments interdisent pendant un certain nombre d’années la production de médicaments génériques. L’entreprise qui a la première obtenu un brevet sur son médicament échappe donc à la concurrence et facture aux patients et à la sécurité sociale un prix plus élevé.
F/ La régulation financière
Au lendemain de la crise de 2008, provoquée par une finance totalement hors de contrôle, les USA et l’UE ont adopté une série de réglementations. Même si celles-ci sont, de l’avis de beaucoup, insuffisamment ambitieuses, elles n’ont cessé d’être attaquées par les lobbies bancaires.
Création d’instruments permanents de libéralisation.
Les deux instruments majeurs que les USA et l’UE veulent créer sont d’une part, le Conseil
Transatlantique de coopération réglementaire et, d’autre part, le Tribunal de règlement des différends investisseurs-Etats. Ces institutions constitueraient un canal privilégié d’influence du monde patronal sur les législations des Etats, aux dépens des citoyens et de la démocratie.
A/ Le conseil transatlantique de coopération réglementaire RCC
Le RCC serait composé à parité de fonctionnaires des agences de régulation américaine et de la Commission européenne.
Le but du RCC serait d’évaluer l’ensemble des réglementations américaines et européennes.
Le critère principal d’évaluation des législations est leur efficacité coût-bénéfice. Le RCC demanderait aux agences de régulation européennes et nationales qui émettent des règles d’évaluer celles-ci sous l’angle de critères principalement monétaires : coût pour les entreprises, réduction des dépenses de l’Etat en cas d’adoption de règles allégées, impact des règles sur le commerce transatlantique. Le présupposé est que l’Etat réglemente trop et impose trop de bureaucratie aux entreprises. Les instances publiques de régulation telles que les SPF Emploi, environnement, protection sociale, les agences comme l’AFSCA en Belgique, seraient hiérarchiquement soumises au pouvoir du RCC.
B/ Le système de règlement des différends investisseurs-états (RDIE)
Sorte de tribunal des multinationales, le RDIE vise à offrir aux investisseurs privés « le plus haut niveau possible de protection légale » contre l’ « expropriation indirecte ». Les entreprises interprètent ce concept de manière maximaliste en considérant que toute décision ou réglementation d’un Etat, ayant des conséquences dommageables pour les profits d’un investisseur, constitue une expropriation de l’entreprise.
Le RDIE ne s’adresse qu’aux investisseurs étrangers (appartenant aux pays qui ont signé
le traité de commerce). Les entreprises américaines qui investissent dans l’UE pourront attaquer les Etats membres de l’UE, mais pas le gouvernement américain et inversement.
Les décisions prononcées par ces tribunaux privés internationaux sont contraignantes.