Vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin : l’interview de Pierre Verjans
Vingt ans après la chute de mur de Berlin, Pierre Verjans, politologue à l’ULg, nous aide à mieux décripter l’importance et les conséquences politiques de cet événement historique. Quelle a été l’importance de la chute du mur de Berlin d’un point de vue symbolique ?
Même s’il a été construit bien après le début de la guerre froide, le mur de Berlin était devenu le symbole de l’affrontement figé entre le monde communiste et capitaliste. La chute du mur de Berlin symbolise la fin de cette période et le triomphe, en quelque sorte, du modèle libéral américain. Néanmoins, il y a là un paradoxe puisque la majorité des Allemands de l’Est qui font tomber le mur sont, pour la plupart, des anticapitalistes. En introduisant la liberté ils voulaient plus changer de système politique que de système économique. Il faut rappeler aussi que la chute du rideau de fer dans l’Europe de l’Est répond à des dynamiques particulières à chaque pays.
Quelle a été l’influence de cet événement sur la construction européenne ?
Son influence a été fondamentale. Il y a d’abord la réunification allemande. A l’époque beaucoup de pays se méfient fortement de ce projet qui bouleverse complètement l’équilibre européen. En contrepartie de la réunification, la France obtient, dès lors, la mise en place du traité de Maastricht qui crée l’Union européenne comme on la connaît actuellement et lance également l’Union économique et monétaire (UEM) devant conduire à la création de l’euro. Sur l’autel de la réunification, les Allemands ont dû se résoudre à abandonner le mark, ce qui n’était pas évident pour eux. Plus près de nous, l’élargissement de l’Union européenne à l’Est en 2004 est également une conséquence directe de la chute du mur de Berlin et un aboutissement de la transition entre le système communiste et capitaliste.
Cet événement a-t-il permis un coup d’accélérateur au processus de mondialisation ?
Oui et non. Dans les pays Occidentaux, la mondialisation était déjà en cours depuis plusieurs années. En 1983, elle est déjà responsable de l’échec du programme commun en France, le dernier pays très à gauche en Europe occidentale avec Mitterand à sa tête. Pour rappel, le gouvernement français voulait relancer l’économie par une politique de type « keynésienne » basée, entre autres, sur la relance de la consommation et la nationalisation de nombreux secteurs de l’économie. Mais, avec l’ouverture des frontières, le gouvernement français de l’époque doit faire face à deux problèmes qui vont mettre à mal sa politique : une fuite des capitaux vers l’étranger et une part de l’augmentation de la consommation qui va à l’achat des biens étrangers. Pour la gauche française et européenne, cet échec signe la fin d’une bonne part des illusions quant à la capacité du politique de peser sur les mécanismes économique dans un espace territorial largement ouvert.
Pour revenir à la chute du Mur de Berlin, 1989 constitue une date charnière en ce qui concerne l’approfondissement du capitalisme au niveau mondial. Non seulement le mur s’effondre et dans la foulée le bloc soviétique, mais c’est aussi à cette époque que la Chine s’ouvre définitivement au capitalisme tandis qu’il s’approfondit en Inde mais aussi en Amérique latine. En seulement quelques années, le capitalisme devient le système économique ultra dominant à l’échelle planétaire. D’un milliard de personnes à son service, il passe à 4 milliards, ce qui crée un déséquilibre énorme entre l’offre et la demande de main d’œuvre. La chute du mur de Berlin va donner une ampleur symbolique à ce nouvel ordre mondial.
Aujourd’hui, peut-on affirmer que la crise actuelle est une remise en cause de ce nouvel ordre mondial né en quelque sorte à la suite de la chute du mur de Berlin ?
Je note que par rapport à la crise actuelle, il n’y a pas de la part des principaux dirigeants une remise en cause fondamentale du capitalisme. Or, un des éléments explicatifs de la chute de l’empire soviétique est que le système communiste avait déjà perdu sa crédibilité par rapport à sa propre classe dirigeante. Nous ne sommes pas aujourd’hui dans cette configuration là. Il y a par contre une critique du néolibéralisme qui passe par la nécessité de limiter la liberté des échanges en reconnaissant le rôle de l’Etat non pas nécessairement comme acteur, mais comme régulateur de l’économie.
Propos recueillis par P. Taquet