compte rendu de la journée « travailleuses et travailleurs de première ligne face à la fracture numérique »

Retour sur notre journée d’étude «travailleuses et travailleurs de première ligne face à la fracture numérique »

Introduction :

Cette journée d’étude a été mise en place suite aux constats du groupe de travail d’ici & d’ailleurs. Beaucoup de leurs usagers se trouvent en difficulté face à la numérisation des services, la disparition des guichets et des réceptions téléphoniques ainsi que la suppression progressive des formulaires papiers.

Nous avons élaboré une journée afin de partager les expériences vécues par les travailleuses et travailleurs sociaux de première ligne sur le terrain, explorer le champ des possibles et essayer de comprendre les raisons de cette fracture numérique de plus en plus grande.

Nos intervenantes A. Philippart et L.Compère, chercheuses à l’ESAS HELMO et enseignantes dans la section sociale, nous ont aidé en nous proposant un outil d’échange de vécu permettant de partir de situations concrètes pour ensuite imaginer des pistes de solutions.

Exemples & questions de la journée :

Un bénéficiaire d’un centre d’insertion socio-professionnel n’a pas d’adresse mail ce qui complique ses recherches d’emplois. La formatrice par manque de temps décide de lui créer une adresse mail mais sans trop savoir si la personne sera en capacité de la gérer par la suite sans son aide.

Une personne en réinsertion socio-professionnel refuse de manipuler smartphone et ordinateur, elle éprouve de grosses difficultés à appréhender ces nouvelles technologies. Cette situation pose des problèmes aux professionnels qui ne peuvent communiquer avec elle en dehors de la structure. De plus, la personne risque de se priver d’accès à une multitude de services malheureusement devenus accessibles uniquement en ligne. Le travailleur social doit-il insister pour que la personne dépasse son « blocage » ou doit il respecter ce refus comme un véritable choix individuel et lui trouver des alternatives ?

Autre exemple, un service a la volonté de créer un espace numérique pour favoriser l’inclusion aux outils informatiques mais les moyens sont limités alors que la demande est grande.

Ce ne sont pas des cas marginaux pour les professionnels du secteur de l’accompagnement social, beaucoup se sentent dépassés par ces situations. Celles-ci sortent de leurs cadres de travail et nécessitent des solutions alternatives au cas par cas. Mais disposer de matériel, créer une identité numérique, former numériquement les bénéficiaires ne sont pas des solutions miracles.

La fracture numérique n’est pas qu’une question d’apprentissages techniques. Résoudre certaines situations administratives complexes par l’outil numérique est parfois impossible. Les formulaires en ligne ne permettent pas toujours de faire face à certains cas de figure (handicap, statut social compliqué, âge, situation géographique, …). Les spécificités des citoyens sont trop souvent gommées par un soucis d’efficacité et de rendement propres au numérique. Par exemple, un formulaire numérique ne sera pas validé tant que toutes les cases ne seront pas cochées et donc si vous ne rentrez dans aucune d’entre elles ou si le formulaire reste flou sur un statut, vous ne pourrez le valider.

Les professionnels ont rencontré dans les exemples déployés au cours de la journée des problématiques hybrides dont les enjeux ne sont pas toujours anticipés ou compris. Nos intervenantes ont proposé sous forme d’outil diagnostic trois postures à interroger avec le numérique :

Est-ce que je sais ? (Savoir technique, temps, ressources matérielles…)

Est-ce que ça veut ? (Cadre de travail, déontologie, valeurs partagées…)

Est-ce que je peux ? (Cadre législatif, règlement…)

Ces trois postures vont poser un cadre autour du numérique. On va pouvoir aborder les situations sous certains angles : Je sais répondre aux problèmes en fonction du matériel à ma disposition, du temps, de mes connaissances techniques… Est-ce que je peux m’impliquer dans un processus avec le bénéficiaire malgré mon cadre de travail ? et enfin est-ce que je peux au niveau du règlement du travail, de mon code déontologique, du cadre de la loi répondre à la demande du bénéficiaire ? Ces postures peuvent aider la ou le professionnel à s’orienter. Elles peuvent apporter des pistes de résolution viable sur le long terme.

Au cours de cette journée, un moment a été aussi consacré à la hiérarchie des droits (lois, RGPD, ROI…) face à la numérisation, aux cas de figures rencontrés et aux valeurs développées à ce sujet au sein d’un service ou d’une entreprise. Il est important de pouvoir définir avec l’employeur ce qui peut être négocié en terme de pratiques de ce qui ne peut pas l’être et trouver les ressources en fonction, c’est toutes la complexité du travail social face au numérique. Trouver des solutions afin de ne pas mettre les bénéficiaires sur le côté ni le travailleur en porte-à-faux.

Conclusion 

Au final, le cadre du travail social de première ligne est grandement modifié par la numérisation. Les travailleurs et travailleuses se retrouvent confrontés à des situations inédites qui peuvent mettre à mal le cadre déontologique et législatif de leur pratique professionnelle. Comment repenser le travail de terrain dans le cadre de requêtes numériques ? Comment protéger les bénéficiaires des services sociaux dans le cadre très précis de la numérisation ? Comment garantir l’accès au droit sociaux quand une personne n’est pas en capacité de se numériser ?

Il reste énormément à faire et à mettre en place pour pallier aux situations complexes que rencontrent les professionnels. Quelques éléments de réponse ont été proposés par nos intervenantes, par exemple grâce à l’outil diagnostic abordé plus haut ou encore via un « carnet de cyber-discernement » qui regroupe outils, conseils, pratiques de terrain ou articles pouvant aider à résoudre ces zones d’inconfort professionnel.

Dans le futur proche, il faut que la profession puisse réfléchir et s’accorder sur un nouveau cadre de travail face à la numérisation tout en continuant à tenir compte des situations spécifiques.

Les professionnels ne peuvent pas simplement devenir les sous-traitants involontaires de services, dont certains restent essentiels, qui en se numérisant ont réduit leur accès à toute une partie de la population. Dans ce sens, nous espérons pour la suite qu’une concertation soit menée avec les acteurs du secteur afin de donner des propositions justes et concrètes pour les publics fragilisés numériquement et pour les professionnels qui les accompagnent.

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