Droit au logement, un sinistre permanent – Retour sur la mobilisation liégeoise du 27 mars 2022
Fin du mois de mars, les centres d’accueil pour personnes sinistrées de la Croix-Rouge ont fermé leurs portes, laissant ceux-ci continuer seuls leur parcours de transit. Par ailleurs, les acteurs des maisons d’accueil et du droit au logement constatent que ce contingent de personnes sinistrées en quête de relogement accentuent bien malgré elles les difficultés à trouver des solutions pour les autres personnes concernées. A titre d’exemple, une maison d’accueil nous confie refuser en moyenne 300 demandes par an, et que lorsque les personnes accueillies sont prêtes à reprendre le fil de leur vie, trouver un logement est un vrai casse-tête.
Ce dimanche 27 mars 2022, le Housing Action Day a été l’opportunité pour nous[1] de remettre en lumière la situation toujours difficile des victimes de la catastrophe de juillet qui s’ajoutent aux autres problématiques de l’accès à un logement digne pour tous, encore et toujours à dénoncer. L’objectif était de rassembler victimes des inondations et victimes du sans-abrisme et du mal logement, de lutter contre leur mise en concurrence. Objectif atteint, comme en témoigne la diversité des prises de paroles :
Anne de l’association Les Petits Robins des Toits : Bénévole proche des personnes sinistrées, il lui a fallu entrer avec elles dans « ce tunnel appelé relogement ». A Verviers, tandis que des personnes sinistrées restaient en grande détresse, des logements sociaux restaient vides. Après plusieurs prises de contact avec les acteurs politiques et communaux qui n’ont pas donné de résultat, les Petits Robin des Toits ont eu le courage de lancer une occupation d’un logement appartenant à Logivesdre afin de provoquer un électrochoc et d’y loger des personnes laissées à la rue, en grande détresse psychologique et médicale. Nous avons donc ouvert un logement social inhabité dans le seul but de montrer qu’il y avait des logements sociaux vides et que la situation du logement est loin d’être résolue. Nous avions des solutions pour aider les sociétés de logement à rénover les habitations, pourquoi n’avons-nous pas été écoutés ? Aujourd’hui Les Petits Robins des Toits sont prêts à soutenir tout projet qui serait un compte rendu des actions à faire ou éviter, si une telle situation devrait se reproduire.
Jean pour Occupons le terrain : Regroupant une cinquantaine de collectifs qui luttent contre des projets immobiliers, Occupons le terrain a trouvé important de rejoindre la mobilisation car « oui il faut du logement, mais pas n’importe où, pas n’importe comment », et il est moins couteux pour les promoteurs immobiliers de faire construire en rachetant des terres agricoles, des espaces verts que d’assainir des friches industrielles ou de rénover des bâtiments existants. Jean a rappelé que si « on laisse faire la loi du marché, on va se retrouver avec du logement uniquement pour ceux qui ont de bons moyens, or il nous faut plus de logements adaptés aux ressources de la population à moyens et bas revenus ».
Benoît et Michel asbl : asbl présente au côté des personnes sans-abris à Liège, Benoît nous a témoigné de leur grande détresse notamment ceux aux abords de la gare des Guillemins : « même si on est à la rue, on est de êtres humains comme tout le monde» ! Il y a aussi les accidents de la vie qui peuvent nous mener à perdre son « chez soi » : Benoît nous parle d’une famille à Seraing qui se retrouve avec à la rue avec un bébé de 8 mois après une opération très couteuse. Et il y a aussi les conséquences du mal logement : « une maman est menacée par le SAJ si elle en trouve pas un autre logement très vite « . Mais voilà, du logement accessible, il n’y en a que trop peu ! Et « sans juger les propriétaires, c’est difficile pour eux d’accepter des gens qui sont au CPAS », il est indispensable aujourd’hui d’agir. « On nous dit que c’est très bien ce qu’on fait, mais on n’a pas de soutien ».
Vincent pour ATD ¼ monde : Vincent insiste sur la solidarité entre les personnes concernées qui sont pourtant mises en concurrence par la pression immobilière. Il témoigne : « il y a trop de demandes et pas assez d’offres. Je suis allé visiter des appartements où on était 20, 30 personnes intéressées par la location. On rend les familles coupables de ne pas trouver du logement. Nous connaissons des personnes qui ont vu leurs enfants placés parce qu’elles ne trouvent pas de logement, ou qui sont menacées d’avoir leurs enfants placés si elles ne trouvent pas des logements « décents ». Personne n’est très intéressé par le sort des familles très pauvres sans logement. Il ne faut pas mettre les uns contre les autres, mais avec chaque crise qui passe — les inondations, la guerre en Ukraine, nous on a l’impression qu’on recule — qu’on est des oubliés. On n’est pas très à la mode. Avec la chasse aux chômeurs et tout ça, on nous voit comme des profiteurs, des gens qui ne paient pas leurs loyers. Quand on voit le nombre de bâtiments vides, de logements en attente d’être réparés, c’est difficile de ne pas se dire que si on voulait, on pourrait faire quelque chose ».
Noélie, Françoise et Olivier du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté : Les personnes sinistrées étant épuisées administrativement, physiquement et moralement, ce sont les militants du Réseau qui s’en sont fait le relais : « je suis propriétaire, mais seulement de 4 murs en béton, sans chauffage » ; « mon fils est parti, il ne veut plus vivre ici » ; « s’il commence à pleuvoir, je panique » ; « la moisissure apparait sur les murs de la chambre, je dors sur un matelas gonflable, j’attends, … » ; « j’ai froid, j’ai peur de rallumer la chaufferette électrique, j’ai peur de la facture, c’était déjà difficile de les payer avant, il parait que mon loyer aussi va augmenter à cause des travaux que le propriétaire doit faire à cause de inondations » ; « le stress est présent tous les jours ».
Guisé de La Voix des sans-papiers : inlassablement, La Voix des sans-papiers doit toujours rappeler leur situation, et bien évidemment leur quasi impossibilité de trouver un toit, un chez-soi. Les sans-papiers continueront donc les occupations jusqu’à l’obtention de la régularisation et appellent à les rejoindre sur le site https://inmyname.be/
Anouk du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté : Anouk nous a lu les témoignages qui leur parviennent via le numéro gratuit de la Région Wallonne, le 1718. Chaque jour, des personnes en difficultés de logement contactent le 1718. Parmi elles, des personnes sinistrées, des personnes ne pouvant payer un loyer dans le logement privé, des personnes en liste d’attente pour un logement public depuis des années, des personnes dans un logement insalubre, … Or, précise Anouk, « notre équipe n’est pas une équipe de magiciens, et ne peut trouver des solutions» ; elle pointe les difficultés rencontrées par les travailleurs sociaux : manque de place dans les maisons d’accueil, manque de logement de transit et d’urgence dans les communes, une difficulté à joindre les services, … « cela pousse les personnes à faire des choix par dépit » comme de dormir dans sa voiture. Anouk évoque également les familles de travailleurs ne pouvant plus faire face à l’augmentation du cout de la vie et qui ne peuvent prétendre aux aides proposées : « L’accès à un logement décent est un combat permanent ! ».
Pour conclure, Aline, venue en délégation de Bruxelles, nous a rappelé le cadre européen du Housing Action Day : le même week-end des mobilisations se sont déroulées entre autres à Amsterdam, Athènes, Bordeaux, Bucarest, Budapest, Cologne, Madrid, …
Ne pas avoir droit à un logement décent, cela a des causes et des conséquences multiples, et c’est ce qu’ont pu illustrer la richesse des différentes prises de paroles de ce dimanche. Nous nous sommes quittés en nous donnant rendez-vous l’année prochaine …malheureusement !
Mars 2022
[1] Le C.I.E.P. Liège, les Equipes Populaires de Liège et de Verviers, Occupons le terrain, Les infirmières de rue de Liège, asbl Benoit et Michel, ATD ¼ monde, Le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, Solidarités Nouvelles, Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat, Barricade, les Petits Robins des Toits.